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"On est tous dans le même bateau": Sandrine Rousseau et Yannick Jadot, unis mais pas trop

Depuis sa courte défaite à la primaire EELV, Sandrine Rousseau semble avoir un pied dans la campagne tout en regardant vers son propre avenir. Si l'atmosphère s'est réchauffée avec Yannick Jadot, les cadres du parti se méfient toujours d'elle.

Pour Mounir Satouri, "c'est un non-sujet". "J'en ai assez qu'on me parle des relations entre Yannick Jadot et Sandrine Rousseau", explique à BFMTV.com le directeur de campagne du candidat écologiste à la présidentielle, qui tient son premier meeting ce samedi.

"On se parle, on échange, on est tous dans le même bateau", évacue-t-il. "On fait campagne pour gagner et on avance."

Au sein d'Europe-Écologie-Les-Verts, l'ambiance est à l'agacement. Il faut dire que depuis sa défaite au finish à la primaire - moins de 2000 voix la séparaient du vainqueur -, l'écoféministe joue sa propre partition. Sandrine Rousseau a beau avoir fini par rallier Yannick Jadot "sans état d'âme", le doute subsiste sur sa fidélité au candidat.

Un soutien à Yadot jugé ambigu

Officiellement, les deux concurrents du second tour ont très vite fait un pas vers l'autre après le flottement post-primaire. Quatre jours après le second tour, Yannick Jadot lui propose de devenir présidente du "conseil politique" de sa campagne.

Quelques heures après cette proposition, l'économiste de profession annonce sur France Bleu "se mettre complètement à son service" tout en ajoutant "devoir encore porter (ses idées) pendant toute cette élection présidentielle". Ce soutien du bout des lèvres a peu été apprécié au sein du parti.

"D'une certaine façon, quand elle annonce l'union, c'est déjà trop tard", estime le député européen David Cormand, proche d'Éric Piolle, lui aussi candidat défait de la primaire, auprès de BFMTV.com. "Soit on soutient un candidat, soit on ne fait pas campagne." "Mais il n'y a pas d'entre-deux possible, poursuit-il. "On ne peut pas proposer un ticket, vouloir imposer sa ligne, ça ne marche pas comme ça."

Parmi les fidèles de l'universitaire, on assume. "Sandrine Rousseau a toujours été fidèle à sa ligne", défend l'une de ses proches, Alice Coffin, auprès de BFMTV.com. "Elle souhaitait tout simplement faire entendre sa différence et une façon de faire de la politique autrement."

Défendre ses propres propositions

En guise d'exemple de cette petite musique qui diffère de la ligne officielle, ses sorties médiatiques dans lesquelles elle décline ses propres propositions en lieu et place de celles de Yannick Jadot.

"Oui, il faut augmenter les prix de l'essence", estime ainsi l'ancienne porte-parole des écologistes sur BFMTV en octobre dernier, en pleine flambée des prix à la pompe.

Elle a beau ajouter qu'à "la fin (du quinquennat de Yannick Jadot), les Français auront finalement moins de pression sur leurs revenus qu'au début", notamment "grâce au chèque énergie", le mal est fait.

"On se bat pour se défaire de cette image d'écologie punitive, d'écologie réservée aux plus riches et elle tient ce genre de propos... Si ce n'est pas pour plomber la campagne, je ne sais pas ce que c'est", analyse un élu écologiste.

Plus positif, le porte-parole de la campagne, Benjamin Lucas, confie à BFMTV.com y voir "des pas de côté, à la façon d'Éric Ciotti avec Valérie Pécresse".

Une peur "qu'elle efface Yannick Jadot"

"Cette sortie est un concentré de ce qu'est Sandrine Rousseau dans cette campagne", juge un ancien sympathisant, qui s'est depuis rapproché de la France insoumise. "Elle veut faire entendre sa différence tout en s'insérant dans le dispositif de Yannick Jadot. Mais à force de jongler entre plusieurs maracas, à un moment, l'une d'entre elles vous tombe sur la tête."

Dans l'entourage de Sandrine Rousseau, on estime plutôt que c'est le candidat écologiste qui met de l'huile sur le feu. Et de citer des déplacements de campagne auxquels elle n'a pas été convié ou encore celui de Troyes, dans lequel elle s'est invitée à la dernière minute.

"Le pire, c'est que quand ils sont ensemble, ils font une bonne équipe", lâche un membre des Jeunes écologistes.

"Il y a eu des tensions au début, c'est vrai", reconnaît une intime de Sandrine Rousseau. "Certains avaient peur qu'elle efface Yannick Jadot. Le staff de campagne craignait un peu que son aura, sa dynamique lors du premier et du second tour l'efface."

"Stop! On arrête la guerre"

Le ton semble désormais à l'apaisement. Fin novembre, "Yannick m’a appelée et il m’a dit 'Stop! On arrête la guerre'. Je crois que c’est la première fois que l’on avait une conversation sincère", raconte ainsi Sandrine Rousseau dans Le Monde.

Au sein du staff de campagne, l'heure est au soulagement. "La page de l'après-primaire est tournée depuis très longtemps, vous savez. Sandrine Rousseau a maintenant une place bien à elle", estime d'ailleurs le directeur de campagne, Mounir Satouri.

"On n'est pas dans les années collège à compter les points", tempère David Cormand. "On sent bien qu'elle fait des efforts et c'est pour ça aussi que ça va mieux avec Yannick Jadot. Mais ça lui coûte."

Tout de même, l'armistice entre les deux anciens concurrents a presque un goût d'inespéré. Quelques jours avant ce coup de fil, une sortie de la professeure d'économie avait d'ailleurs provoqué la colère du candidat.

"On s’emmerde, non?", se demandait-elle dans l'Obs, à propos de la campagne en cours. Avant d'ajouter: "Yannick a un côté trop sage. (…) Ce qui nous faudrait, c’est un type qui met les pieds dans la boue, un rockeur qui donne envie de passer une nuit à Woodstock avec lui."

Changement de ton

Pour expliquer ce changement de pied à seulement quelques jours d'intervalle, beaucoup avancent le départ de Matthieu Orphelin. Ce proche de Nicolas Hulot a été évincé de la campagne après les révélations par Envoyé spécial d'accusations de viol et d'agressions sexuelles visant l'ancien animateur d'Ushuaïa. Homme fort de la campagne, les relations entre cet ancien macroniste et Sandrine Rousseau étaient notoirement exécrables.

"J'ai fait partie de celles qui ont à chaque fois alerté sur le danger de travailler avec Nicolas Hulot", a d'ailleurs souligné l'universitaire sur BFMTV le 24 novembre dernier. "C'est sûr que le sujet des violences sexuelles qui a fait la une ces derniers temps la remet au cœur du jeu politique", estime l'un des proches de l'ancienne candidate.

Pour expliquer l'aplanissement des relations, certains dans le camp Rousseau citent aussi l'absence de dynamique de la campagne de Yannick Jadot qui plafonne sous les 8% d'intentions de vote, d'après l'Elyséemètre de BFMTV, notre agrégateur de sondages.

"Si l’on veut accéder au second tour, et passer ainsi de 7 à 17%, il faut aller chercher tous les électorats, celui de Yannick Jadot, mais aussi celui qui a été attiré par l’écologie sociale et radicale que je représente", expliquait d'ailleurs Sandrine Rousseau dans les colonnes du Parisien en octobre dernier.

Les législatives et le congrès en ligne de mire

Parmi les apparatchiks du parti, on justifie plutôt cet adoucissement de ton par les législatives qui approchent. Alors que Sandrine Rousseau pensait un temps de se présenter à Lille, dans la circonscription de l'insoumis Adrien Quatennens puis dans celle de son collègue Ugo Bernalicis, l'économiste envisagerait plutôt un parachutage à Paris. "L'hypothèse Paris a le mérite de ne pas se fâcher avec la France insoumise dont elle reste assez proche", décrypte un bon connaisseur du parti.

"Ce sont des attitudes un peu lunaires", juge de son côté David Cormand. "Dans la vie, on devient toujours député à la place d'un autre député. Et puis si on veut faire de la politique autrement, on évite le parachutage", avance encore l'eurodéputé.

"L'idée serait d'avoir un groupe écologiste à l'Assemblée nationale très fort, dans la lignée de sa campagne. Si on a quelqu'un comme Sandrine Rousseau qui porte cette tonalité pendant la campagne des législatives, on peut révolutionner la vie parlementaire", défend, elle, Alice Coffin.

Le souhait de Sandrine Rousseau de se présenter au futur congrès des écologistes en décembre 2022 ou en janvier 2023 a également pu peser dans la balance. "Elle sait que si on se plante dans la présidentielle parce qu'elle l'a joué trop solo, les militants lui reprocheront", avance un militant des Jeunes écologistes.

Un pied dedans, un pied dehors. L'avenir de Sandrine Rousseau dans son parti s'écrit à ce prix.

Marie-Pierre Bourgeois