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"Jusqu'à quand va-t-on pouvoir tenir?": à 9 mois des JO 2024, la fatigue et l'inquiétude des policiers

Un équipage de police, le 21 octobre 2022. (illustration)

Un équipage de police, le 21 octobre 2022. (illustration) - LOIC VENANCE / AFP

A neuf mois des Jeux Olympiques de Paris, les policiers, qui auraient dû souffler à l'issue de la Coupe du monde de rugby, doivent faire face à la menace terroriste.

Il y a eu les attentats terroristes de 2015, les six mois de manifestations contre la loi Travail dite El Khomri, l'Euro 2016, les dizaines et dizaines de week-ends de mobilisation des gilets jaunes, les deux réformes des retraites, version 2019 et 2023, et les émeutes de cet été, consécutives à la mort du jeune Nahel. Depuis plusieurs années, c'est un véritable tunnel sécuritaire auquel ont dû faire face les forces de l'ordre.

Pour ne rien arranger, ces dernières semaines, policiers et gendarmes ont jonglé entre la Coupe du monde de rugby, la visite du roi Charles III et la venue du pape François à Marseille. Si les forces de l'ordre s'attendaient à souffler un peu une fois la compétition terminée, la situation risque plutôt de s'inverser. Car au lendemain de l'attaque terroriste dans un lycée d'Arras (Pas-de-Calais), la France a été placée en "urgence attentat", le plus haut niveau d'alerte du plan Vigipirate.

Une soupape après le Mondial de rugby

D'autant qu'au milieu de cette succession d'évènements, les missions traditionnelles des forces de l'ordre ne se sont pas arrêtées pour autant: "Evidemment, il y a eu les manifestations, mais à côté, il y avait toujours la lutte contre la délinquance et la criminalité, contre les stupéfiants ou encore contre les violences intrafamiliales", explique à BFMTV.com Éric Henry, délégué national d'Alliance Police Nationale.

Mais c'est sans aucun doute la semaine du 18 au 24 septembre que la mobilisation des forces de l'ordre a atteint son apogée. Pour sécuriser le mondial de rugby et les déplacements de Charles III et du pape François, 30.000 agents ont été mobilisés au plus fort -60.000 en cumulé-, dont "100% des unités de forces mobiles", rappelle le policier. Et pour permettre ce déploiement massif, le ministère de l'Intérieur, Gérald Darmanin avait demandé la suppression "de toutes les formations reportables" et le rappel "des effectifs au repos".

"On a fait revenir des agents en congé, on a refusé des vacances à d'autres. Les collègues sont lessivés", estime Éric Henry.

Pourtant, la semaine du 9 octobre, policiers et gendarmes auraient dû commencer à souffler un peu. En temps normal, "il y a un taux de présence obligatoire de 50 à 75%", détaille Dominique Le Dourner, secrétaire national des conditions de travail du syndicat Unité SGP Police à BFMTV.com. Pour assurer la sécurité de la Coupe du monde de rugby, "le taux avait été relevé à 80%", ajoute-t-il. "A partir du 10 octobre, les phases éliminatoires étaient terminées. Il ne restait plus que huit équipes sur vingt, avec des matchs répartis sur trois ou quatre sites seulement. On avait obtenu qu'à cette date, on revenait à un taux de présence de 60%", précise Éric Henry.

"Un long tunnel sécuritaire" jusqu'aux JO?

Mais c'était sans compter l'attentat d'Arras, le contexte terroriste et le rehaussement du plan Vigipirate. "On pensait pouvoir souffler, mais là, on repart pour un tour", estime Denis Jacob, secrétaire général du syndicat Alternative police-CFDT, auprès de BMFTV.com. Pour assister policiers et gendarmes dans leur tâche, le gouvernement a d'ores et déjà annoncé le déploiement de 7.000 soldats de la force Sentinelle, ainsi que 4.000 militaires supplémentaires. Malgré ce renfort, difficile, selon Éric Henry, de "tenir sur la durée".

"Même en mobilisant 100% des effectifs qui existent, on ne peut pas mettre un policier devant chaque école, chaque église, chaque mairie, chaque gare, 24h sur 24 et 7 jours sur 7", selon le représentant syndical.

D'autant que ces derniers jours, policiers et gendarmes doivent faire face à un autre type de menace. Depuis l'attaque d'Arras, des dizaines d'aéroports, d'établissements scolaires et de lieux rassemblant du public, comme le château de Versailles ou le Louvre, ont dû être évacués en raison d'alertes à la bombe. Même si elles sont infondées dans la majorité des cas, elles nécessitent à chaque fois l'intervention des forces de l'ordre, et notamment des équipes de déminage.

Avec ce contexte, la crainte, pour les agents, c'est la perspective "d'un long tunnel sécuritaire" qui s'étale "à minima" jusqu'à la fin des Jeux Olympiques de Paris, à l'été 2024, explique Éric Henry. Car à évènement exceptionnel, dispositif exceptionnel. "On sera sur une mobilisation inédite, avec quasiment 100% des agents présents pour les JO", précise Dominique Le Dourner.

Interrogé ce jeudi soir sur BFMTV, sur la possibilité de renoncer à la cérémonie des JO de Paris 2024 en plein air en raison de la menace terroriste, Gérald Darmanin a estimé que "ça serait la victoire des terroristes de ne plus vivre". "Et il ne faut pas oublier que pendant la compétition, les missions quotidiennes ne vont pas disparaître", enchaîne Denis Jacob, qui ajoute que les forces de l'ordre ne pourront pas prendre de congés en juillet et en août.

"Les collègues sont déjà usés physiquement. La question, c'est jusqu'à quand on va pouvoir tenir comme ça?", poursuit Éric Henry.

Les syndicats espèrent trouver "un consensus pour que les policiers puissent lever le pied pendant les JO pour se reposer, tout en garantissant la sécurité de l'évènement", ajoute Dominique Le Dourner.

Des risques psychosociaux

Mais en plus du surépuisement physique, les syndicats alertent également sur les conséquences psychologiques pour les forces de l'ordre. "On ne peut pas minimiser les risques psychosociaux, notamment les burn out et les dépressions. Il y a un surépuisement moral", s'inquiète Denis Jacob. Et cette surmobilisation joue aussi sur le milieu familial.

"C'est l'une des professions les plus exposées aux divorces, aux risques psychosociaux et aux suicides", déplore Éric Henry.

Sur les seules trois dernières semaines, trois policiers ont mis fin à leurs jours. "Depuis dix ans, on atteint près d'une cinquantaine de suicide par an en moyenne", ajoute le policier. Et le contexte terroriste n'aide pas. "C'est anxiogène pour la population mais aussi pour les policiers et les gendarmes", explique Eric Henry. "On fait partie des cibles privilégiées des terroristes, comme les professeurs. La semaine dernière, c'était un enseignant, demain, ça peut être un policier qui sera visé", déplore Denis Jacob.

"On n'est pas à l'abri d'un "Magnanville bis". Nos policiers ne se sentent plus en sécurité en dehors de leur temps de travail, et leur famille non plus. Quand on part le matin, on se demande si on va rentrer le soir", ajoute Dominique Le Dourner.

Mais malgré la fatigue, les policiers "font le job", assure le policier. "Quand ils vont au boulot, ils endossent une carapace, ils font le taff, mais psychologiquement, c'est un choc terrible", poursuit-il.

"On a des policiers affaiblis par la fatigue, mais on n'a pas de sécurité affaiblie", assure Dominique Le Dourner.

Denis Jacob, lui, alerte sur "le risque d'un trou dans la raquette en matière de sécurité". "Le boulot sera toujours fait, mais, on n'est pas à l'abri que quelque chose passe entre les mailles du filet", s'inquiète le secrétaire général du syndicat Alternative police-CFDT.

Et, comme dans n'importe quelle profession, avec l'épuisement viennent les erreurs, voire les dérapages. "Le risque zéro n'existe pas", reconnaît Éric Henry. "Les nerfs peuvent lâcher, ça peut arriver. A ce moment-là, ce n'est plus le policier mais l'humain qui prend le dessus", reconnaît Dominique Le Dourner. "On espère qu'il y aura un temps de répit suffisamment important d'ici les JO pour qu'on puisse se souffler un peu", conclut Denis Jacob.

Manon Aublanc