BFMTV
Police-Justice

"Ce sera la seule occasion où je pourrai parler": rescapée du Bataclan, Sophie n'imagine pas ne pas témoigner

Sophie a reçu deux balles au Bataclan, elle témoignera mardi auprès des attentats du 13-Novembre.

Sophie a reçu deux balles au Bataclan, elle témoignera mardi auprès des attentats du 13-Novembre. - BFMTV

Sophie, rescapée du Bataclan, n'imagine pas ne pas aller témoigner au procès des attentats du 13-Novembre. Ce mardi, elle entamera "la dernière étape de sa reconstruction".

Sophie a déjà fait le voyage depuis Lyon pour assister à quelques journées d'audience du procès des attentats du 13-Novembre. Elle était là notamment quand l'enquêteur de la brigade criminelle est venu raconter "l'horreur" à laquelle lui et ses coéquipiers ont dû faire face en entrant dans la salle du Bataclan après l'attaque du commando de terroristes qui a abattu 90 personnes. Pour elle, "c'est important d'être actrice de ce procès".

"Je le fais à la fois pour moi mais aussi pour tous ceux qui ne peuvent être là, comme on dit. On est une grande famille cabossée", confie-t-elle à BFMTV.com.

"S'il ne me voit pas, je n'existe pas"

Cette double mission, c'est ce qui va guider Sophie ce mardi quand elle s'avancera devant la cour d'assises spéciale qui juge 20 accusés pour les attentats du 13-Novembre. Cette rescapée, mère d'une petite fille, a fait le choix de témoigner pour raconter son histoire mais aussi celle de tous ceux qui ont fait le choix de ne pas prendre la parole, comme son amie Léa qui "sera là sans être là".

C'est avec elle que Sophie était ce soir du 13 novembre 2015 pour assister au concert des Eagles of Death Metal.

"On était en train de rire, c'était un concert tout ce qu'il y a de plus normal", se souvient la jeune femme. "Je me souviens avoir entendu des pétards, je me suis dit 'ils font ça vraiment à l'américaine'. On passait vraiment une bonne soirée."

Puis au milieu de ce qu'elle pensait être des pétards, Sophie a entendu les cris. "On s'est tous allongés, j'ai été blessée très rapidement", détaille-t-elle comme une ultime répétition avant son témoignage devant la cour d'assises. "J'ai ressenti comme un coup de marteau à la jambe, mais je ne me suis pas rendu compte tout de suite de ma blessure. J'ai vu le terroriste, son sourire, je me suis dit 's'il ne me voit pas, je n'existe pas, donc je reste vivante'."

"Il faut que ce que j'ai vécu fasse partie de ce procès"

Sophie cherche alors à se cacher sous sa veste. "J'ai alors vu un monticule de chair, j'ai compris que j'étais blessée", raconte-t-elle. Elle est atteinte de deux balles, l'une au mollet "qui a été à moitié arraché", et une autre dans la cuisse, "qui est restée dans son [mon] bassin pendant un an et demi". La jeune femme parvient à garder son calme, malgré ses blessures, malgré le corps de ce garçon contre elle, mort sous les balles des terroristes.

Au bout de 10 minutes, Sophie et Léa font partie de ceux qui parviennent à sortir de la salle de spectacle. Les deux amies se réfugient dans un hall d'immeuble, commandent un VTC et se rendent à l'hôpital Saint-Antoine. "J'ai mis beaucoup de temps à me rendre compte de ce que j'ai vécu, se souvient-elle. Je n'arrivais pas à me dire 'j'y étais'." Le début d'une longue période "à galérer" pour elle. Ce témoignage devant la cour d'assises spéciale est "la dernière étape".

"Je dois me confronter aux accusés, je dois leur dire ce qu'ils m'ont fait endurer", insiste la jeune femme. "Il y a un côté naïf chez moi qui me dit qu'ils vont craquer, qu'ils vont s'excuser. Mais il faut que ce que j'ai vécu fasse partie de ce procès."

"De quoi je me plains?"

Sophie a pris sa décision de témoigner au mois de juin. "Depuis, j'ai changé d'avis une quinzaine de fois", s'amuse-t-elle. Mais même si aujourd'hui encore, la jeune femme ressent un mélange de "doute" et de "peur", elle sait qu'elle finira par aller témoigner.

"Je veux retracer la soirée, essayer d'être la plus précise possible", dit-elle.

Sophie a écrit son texte, non pas qu'elle va "oublier" ce qu'elle a vécu mais pour ne négliger aucun détail. Son avocate l'a aidée à se préparer.

"Elle m'a dit de raconter ce que j'ai envie de raconter, que ce sera la seule occasion où je pourrai parler", détaille Sophie.

Depuis qu'elle écoute les témoignages des autres rescapés qui se succèdent devant la cour d'assises, la jeune femme sait qu'elle abordera le sujet du fond de garantie. Beaucoup de victimes ont expliqué la difficulté pour les victimes des attentats du 13-Novembre à faire reconnaître leur statut et obtenir une indemnisation.

C'est aussi les témoignages des autres rescapés, que Sophie écoute quotidiennement sur la webradio accessible aux parties civiles, qui la poussent à se présenter devant la cour d'assises. "Certains témoignages sont tellement durs à entendre que je me dis que si les autres l'ont fait, je peux le faire", confie-t-elle, expliquant se poser parfois la "question de la légitimité". "Parfois je me dis 'mais de quoi tu te plains', souffle-t-elle. Mais tout le monde a vécu la même chose, il est important que les victimes témoignent."

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV