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Cinéma

Comment Judith Godrèche est devenue la figure de la lutte contre les violences sexuelles dans le cinéma

Le court-métrage "Moi aussi" est projeté au Festival de Cannes ce mercredi 15 mai. Il est signé Judith Godrèche, devenue au fil des derniers mois une véritable figure de la libération de la parole dans le cinéma français.

Elle est le nouveau visage de la libération de la parole dans le cinéma français. Judith Godrèche présente ce mercredi 15 mai à Cannes, un court métrage, intitulé Moi aussi, qu'elle a réalisé pour mettre en lumière les récits de victimes de violences sexuelles.

En quelques mois, la comédienne et réalisatrice est devenue la figure de la libération de la parole dans le cinéma français. Le visage français du mouvement #MeToo, lancé aux États-Unis en 2007, après l'affaire Weinstein.

Tout a commencé fin 2023, lorsque l'actrice, aujourd'hui âgée de 52 ans, est revenue sur sa relation avec le réalisateur Benoît Jacquot, à travers sa série autobiographique, Icon of french cinema. Une relation connue de tous à l'époque. Dans une première interview au magazine Elle, l'actrice raconte sa relation d'emprise avec cet homme de 40 ans, alors qu'elle en avait 14.

Puis, en janvier 2024, elle porte plainte pour viol, contre le réalisateur avec qui elle a vécu près de six ans, et contre Jacques Doillon, qu'elle accuse également de viol sur mineur, sur le tournage du film La Fille de 15 ans. Tous deux réfutent ces accusations.

"La parole se délie"

Mais Judith Godrèche, qui a gardé le silence pendant si longtemps, ne s'arrête plus de parler. Elle dénonce le comportement de ces deux réalisateurs, mais aussi les nombreuses dérives dans le cinéma français et les relations d'emprise entre certains réalisateurs et les jeunes actrices.

Le soir des César 2024, elle livre un vibrant discours pour dénoncer les violences sexuelles dans le cinéma français, s'adressant à ses "sœurs inconnues". "Depuis quelques temps, la parole se délie, l'image de nos pères idéalisés s’écorche, le pouvoir semble presque tanguer, serait-il possible que nous puissions regarder la vérité en face?", lance-t-elle à l'assistance.

"Pourquoi accepter que cet art que nous aimons tant, cet art qui nous lie soit utilisé comme une couverture pour un trafic illicite de jeunes filles?", questionne-t-elle.

À la lumière de ces témoigagnes, la presse fait aussi son mea culpa. "C'est tout un système, celui de la production cinématographique, qu'il convient aujourd'hui de réexaminer à la lumière de ces témoignages. Un système dont les médias, 'Télérama' compris, se sont parfois faits les complices par leurs éloges", écrit Valérie Hurier, directrice de la rédaction de Télérama.

Dans le sillage de Judith Godrèche, d'autres actrices témoignent contre Benoît Jacquot, comme Isild Le Besco. Sans porter plainte contre le réalisateur, l'actrice de 41 ans évoque dans un livre la relation qu'elle a entretenue avec lui, alors qu'elle avait 16 ans et lui 52. "Dire que Benoît m'a violée, c'est évident", écrit-elle notamment.

Vahina Giocante, témoigne elle aussi contre Benoît Jacquot, dans un livre qu'elle publie fin mars. "J'ai décidé de le nommer pour appuyer (la) parole (de Judith Godrèche). Pour me mettre à ses côtés, derrière elle", explique-t-elle.

Auditionnée à l'Assemblée

Le 14 mars, Judith est auditionnée à l'Assemblée nationale, devant la délégation aux droits des enfants. Elle réclame notamment une réforme du droit du travail dans le monde du cinéma afin de protéger "les femmes et les enfants".

Également auditionnée par le Sénat le 29 février, Judith Godrèche avait aussi plaidé pour "constituer une commission d'enquête sur les violences sexuelles et sexistes dans le milieu du cinéma". "Il faut qu'il y ait tout un système de protection mis en place et qu'on arrête de faire semblant de ne pas savoir", avait-elle insisté au Sénat.

Quelques mois plus tard, une commission d'enquête est créée à l'Assemblée nationale. Elle est chargée d'étudier les "abus et violences" dont sont victimes les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité.

D'autres initiatives dans le monde du cinéma témoignent d'une prise de conscience et d'une volonté de changer les choses. Ce mardi 14 mai, 100 personnalités, dont de nombreuses actrices (Isabelle Adjani, Emmanuelle Béart, Juliette Binoche...) appellent à une loi intégrale contre les violences sexuelles en France.

"Depuis sept ans, nous parlons pour nous et pour toutes les femmes, hommes et enfants qui ne peuvent pas le faire. Les inégalités et les rapports de pouvoir favorisent les violences sexistes et sexuelles, et le déni collectif protège les agresseurs", peut-on lire dans Le Monde.

Juliette Binoche, d'abord réticente à livrer son expérience, a témoigné début mai sur France Inter des abus qu'elle a subis au cours de sa carrière. "Sans arrêt on a le sentiment d'être trahis", avait-elle déclaré, au sujet de la relation des actrices et des metteurs en scène.

"Judith Godrèche a ouvert la voie"

Ce mouvement de libération de la parole est également épaulé par des hommes. Ils sont 100 hommes, dont les comédiens Eric Elmosnino, Mathieu Amalric et Reda Kateb, à signer une tribune dans le magazine Elle, pour apporter leur soutien au mouvement #MeToo.

Qu’est-ce que “la loi intégrale” réclamée par 100 personnalités pour lutter contre les violences sexuelles?
Qu’est-ce que “la loi intégrale” réclamée par 100 personnalités pour lutter contre les violences sexuelles?
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Tout cela, c'est le témoignage de Judith Godrèche qui l'a initié.

"Judith Godrèche a ouvert la voie", a déclaré ce 14 mai Camille Cottin, maîtresse de cérémonie du festival de Cannes. Si elle n'est pas la première à avoir porté plainte et raconté son vécu traumatique, ces voix avaient jusqu'ici de la peine à se faire entendre.

Avant elle, le mouvement #Metoo, déclenché outre-Atlantique par l'affaire Weinstein, et le témoignage de dizaines de femmes contre le producteur, avait peiné à s'installer réellement dans le cinéma français. Dès 2017, des actrices françaises avaient confié avoir été victimes du producteur prédateur. Parmi elles Juliette Binoche, Emma de Caunes, Eva Green, ou encore Léa Seydoux avaient raconté avoir réussi à échapper à ses griffes.

En 2018, dans la foulée du scandale Weinstein, une centaine d'actrices et de personnalités, dont Julie Gayet, Vanessa Paradis ou Leïla Slimani, avaient lancé un mouvement #MaintenantOnAgit, et un appel aux dons pour aider les femmes victimes de violences, inspiré du Time's Up fondé par des actrices américaines.

"La honte!"

Mais aucun témoignage n'avait ébranlé le cinéma français. Jusqu'à cette cérémonie des César, en février 2020. La comédienne Adèle Haenel s'était levée lorsque Roman Polanski, accusé de viol, avait reçu le César du meilleur réalisateur, et avait quitté la salle en criant "La honte! C’est la honte!".

Elle avait été la première, quelques mois plus tôt, à porter plainte contre un réalisateur. Adèle Haenel a ainsi accusé le réalisateur Christophe Ruggia de violences sexuelles, lorsqu'elle était âgée de 12 à 15 ans. "Je dois le fait de pouvoir parler à celles qui ont parlé avant dans le cadre de #MeToo", expliquait-elle alors à Mediapart.

Après ce coup d'éclat, quelques voix s'étaient élevées. Un tumblr, "paye ton tournage" avait été créé, recueillant de nombreux récits de violences sexuelles et sexistes dans le milieu du cinéma. Certaines voix s'étaient félicité de la fin de l'omerta dans le cinéma français. Pourtant, l'heure n'était pas encore venue. Plusieurs personnalités du cinéma comme Luc Besson, Gérard Depardieu, Philippe Caubère avaient été ciblées par des plaintes, toutes classées sans suite.

Aujourd'hui Gérard Depardieu, accusé par plusieurs femmes d'agression sexuelle, est convoqué devant un tribunal. Il devra répondre de son comportement en octobre prochain.

Magali Rangin