BFMTV
Palestine

"Une situation de massacre": un médecin français revenu de Rafah témoigne de la situation humanitaire

Des enfants partent collecter de l'eau dans la ville de Rafah détruite, le 14 février 2024

Des enfants partent collecter de l'eau dans la ville de Rafah détruite, le 14 février 2024 - MOHAMMED ABED / AFP

Le médecin humanitaire Raphaël Pitti, qui était dans la bande de Gaza il y a encore quelques jours, décrit une situation humanitaire extrêmement tendue sur place. Dans les hôpitaux, les soins médicaux ne peuvent être prodigués à la population palestinienne, réfugiée en masse dans cette ville-frontière.

Une situation humanitaire qui ne cesse d'empirer, jour après jour. Depuis le début du mois de février, les frappes israéliennes sur la ville de Rafah, dernière ville du sud de la bande de Gaza avant la frontière égyptienne, s'intensifient.

L'annonce de ces opérations aériennes a été faite par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui depuis les attaques du 7 octobre 2023 sur le sol de son pays a fait de la lutte contre le Hamas et de la victoire totale de l'État hébreu, ses objectifs prioritaires.

Dès le début des représailles israéliennes à ces attaques, mi-octobre, les autorités israéliennes ont poussé les occupants de l'enclave palestinienne vers le sud de ce territoire, dont Rafah, censé être protégé des bombardements. Or, au fil des semaines, le conflit s'est également déplacé vers cette zone, où s'entassent maintenant un million de déplacés dont 600.000 enfants.

Conditions d'hygiène désastreuses

Invité du podcast "Le titre à la une" de BFMTV, Raphaël Pitti est un médecin humanitaire membre de l’ONG UOSSM qui se trouvait à Rafah il y a quelques jours encore, où il opérait à l'hôpital européen de la ville. Dans un premier temps, cet anesthésiste-réanimateur fait état d'une situation intenable en raison de l'afflux continu de réfugiés.

"Autour de l’hôpital européen, vous avez 25.000 personnes réfugiées contre l’hôpital et 3.000 à l’intérieur, qui vivent dans les couloirs, les paliers des escaliers, c'est une situation chaotique", dit-il.
Tous les soirs dans Le titre à la une, découvrez ce qui se cache derrière les gros titres. Céline Kallmann vous raconte une histoire, un récit de vie, avec aussi le témoignage intime de celles et ceux qui font l'actualité.
Dernier refuge des Palestiniens, Rafah menacé par l'offensive israélienne
15:45

"Les abris sont construits avec des bâches en plastique. Il y a une promiscuité très forte, pas d’intimité possible, cette population erre. Il y a du monde partout, les femmes font leur pain à même le sol à l’intérieur de l’hôpital. Comment peut-on travailler dans des conditions d’hygiène si désastreuses?", questionne-t-il.

"Vous finissez par travailler à même le sol"

Les conditions sanitaires à l'intérieur de l'établissement sont désastreuses, comme c'est déjà le cas dans de nombreux hôpitaux de la bande de Gaza. "Pour ma spécialité, en médecine d’urgence et de catastrophe, c’est impossible de travailler aux urgences", lance-t-il.

"Il y a des gens qui sont là pour être pris en charge pour des pathologies saisonnières, problèmes respiratoires ou digestifs, des pathologies chroniques, et puis se greffent l'arrivée des polytraumatisés, des blessés, blastés du fait des explosions, des tirs de sniper, vous finissez par travailler à même le sol. On vous amène aussi les morts pour les enregistrer", détaille encore Raphaël Pitti.

À cela, il faut rajouter les infections qui surviennent lors des opérations au bloc opératoire, où l'hygiène n'est pas non plus possible. "Il y a des germes hospitaliers et multirésistants, les conditions d’hygiène sont désastreuses", insiste-t-il.

"Il faudrait un cessez-le-feu immédiat"

Cette description de l'hôpital de Rafah s'accompagne d'en état des lieux dramatique plus global de la ville-frontière qui compte habituellement une population comprise entre 150.000 et 200.000 habitants; Actuellement, elle accueille près d'1,5 million de personnes, soit une densité de population de 27.000 habitants par km².

À titre de comparaison, la densité de population parisienne est de 20.238 habitants par km², celle de Tokyo de 6.511 habitants au km². En raison de cette population massive, la moindre frappe israélienne, et de potentielles opérations au sol, peut avoir pour conséquence des dizaines de morts.

"On est dans une situation de massacre compte tenu de la densité de population. Il faudrait un cessez-le-feu immédiat, un arrêt des combats et une remise à niveau de cette population, ils sont totalement déshumanisés. Il y a pire que de tuer: déshumaniser et enlever la dignité", explique le médecin.

Sur place, des distributions de nourriture sont bien organisées, mais pas suffisamment, et pas avec les bons ingrédients. "Il y a du riz ou de la farine mais pas de légumes, de viande. Il y a de la malnutrition chez les enfants, il n'y a pas de diversité de nourriture suffisante", prévient-il.

De mémoire d'humanitaire, Raphaël Pitti dit n'avoir en tête que très peu de conflits où la situation humanitaire est à ce point désespérée. "En ex-Yougoslavie quand les Serbes encerclaient les Croates et Bosniaques avant les corridors de l'ONU, mais ça s'est corrigé vite. Pendant le siège d'Alep pendant six mois aussi", cite-t-il, de sinistre mémoire.

La communauté internationale de plus en plus divisée

À mesure que passent les jours, la communauté internationale se divise de plus en plus sur l'action israélienne, en particulier à Rafah, malgré la promesse faite par Benjamin Netanyahu d'ouvrir "un passage sécurisé" pour quitter la ville.

"Ils vont évacuer les Palestiniens: Où? Sur la Lune? Où est-ce qu'on va évacuer ces personnes?", a ce mardi critiqué, à Bruxelles, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell.

L'ONU a déjà mis en garde contre "un déplacement forcé de population" à Rafah, par la voix de Stephane Dujarric, le porte-parole du secrétaire général de l'organisation. Par ailleurs, un responsable de l'OMS a indiqué ce mercredi que les hôpitaux à Gaza étaient "complètement débordés. Dénonçant "le rétrécissement de l'espace humanitaire" à Gaza, le docteur Rik Peeperkorn a accusé Israël de continuer à "entraver l'acheminement de l'aide humanitaire" dans le territoire palestinien.

Les États-Unis, le principal allié d'Israël, s'opposent aussi à une opération à grande échelle dans la ville sans une solution pour les civils. Le président américain Joe Biden a réclamé à Israël un plan "crédible" pour épargner les civils à Rafah qui sont "exposés et vulnérables", lors d'une rencontre lundi à la Maison Blanche avec le roi de Jordanie Abdallah II.

https://twitter.com/Hugo_Septier Hugo Septier Journaliste BFMTV