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Défense

Des experts craignent un effet "dévastateur" pour Kiev en cas de suspension de l'aide américaine

Volodymyr Zelensky et Joe Biden à Kiev le 20 février 2023

Volodymyr Zelensky et Joe Biden à Kiev le 20 février 2023 - BFMTV

Les troupes ukrainiennes pourraient bientôt être à court de munitions et d'équipements si les élus trumpistes, qui pèsent de tout leur poids sur les négociations budgétaires, réussissent à couper le financement américain à Kiev.

Après les propos de la Pologne sur l'arrêt de l'aide militaire à l'Ukraine, ce risque touche désormais les Etats-Unis. Ce week-end, le texte adopté pour prolonger le budget pour 45 jours ne comprend plus l'enveloppe réclamée par la Maison Blanche et le Sénat pour aider Kiev.

Des élus trumpistes disposant d'un veto de fait à la Chambre refusent de débloquer ces fonds prétextant que cet argent devrait plutôt servir à la lutte contre la crise migratoire à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique.

Le risque de ne plus obtenir cette aide des Etats-Unis "serait dévastateur pour les Ukrainiens", a prévenu Mark Cancian, un conseiller au cercle de réflexion Center for Strategic and International Studies à Washington.

Affaiblir les troupes ukrainiennes

Les plus hauts responsables américains ont assuré à maintes reprises que le soutien militaire et humanitaire à Kiev durerait "autant de temps que nécessaire". Un bras de fer s'est engagé avec un groupe d'élus de la droite dure de l'opposition républicaine qui ont fait approuver au Congrès un budget provisoire de l'administration fédérale dans lequel ne figure pas cette enveloppe, pourtant réclamée par la Maison Blanche et le Sénat.

Sans ce budget, "les troupes ukrainiennes seraient affaiblies et pourraient même éventuellement s'effondrer. (...) Les militaires en guerre ont besoin d'un flux constant d'armes, de ravitaillement et de munitions pour remplacer celles épuisées ou détruites", estime Mark Cancian.

Pour le moment, aucun risque immédiat n'est à craindre. L'armée ukrainienne reste en capacité de rester sur la défensive" et bénéficiera encore des lots d'armement déjà approuvés et en cours d'acheminement.

"Il faudrait sûrement attendre plusieurs semaines avant de voir des effets sur le champ de bataille", estime Mark Cancian en pointant l'incapacité de Moscou "de capitaliser sur cet affaiblissement" du fait de "l'épuisement des capacités des Russes.

Dépendance de l'Europe vis-à-vis des Etats-Unis

Cette situation soulève la très forte dépendance de l'Europe vis-à-vis des Etats-Unis dans ce conflit. Entre le 24 janvier 2022 et juillet 2023, les Américains ont fourni une aide évaluée par le Kiel Institute à 42,1 milliards d'euros. En seconde place, l'aide de l'Allemagne est de 17,1 milliards d'euros. Celle des Britanniques arrive en 3e place avec 6,6 milliards d'euros.

Le vide que créerait un retrait de l'aide américaine constituerait un problème majeur, prévient James Black, du centre de recherche sur la défense et la sécurité RAND Europe. Il souligne qu'en retirant l'apport des Etats-Unis, l'efficacité de l'armée ukrainienne serait compromise.

La fin de l'aide américaine se traduirait également par un affaiblissement des défenses aériennes ukrainiennes, équipées de divers systèmes complexes inter-opérant fournis par plusieurs pays et devant être continuellement réapprovisionnés en munitions. Ces dispositifs jouent un rôle clé dans la protection des civils et des infrastructures ukrainiennes des nombreuses attaques russes de drones et de missiles.

Il faudrait "un effort de plusieurs années et décennies pour que l'Europe arrive à un niveau où elle pourrait remplacer pleinement les Etats-Unis comme puissance militaire ou puissance industrielle de défense", poursuit James Black.

"L'Amérique doit être à la hauteur de sa parole"

Les actions des républicains, qui contrôlent la Chambre des représentants, concernant l'approbation ou non de futures enveloppes, restent incertaines. Le chef de la Chambre, Kevin McCarthy, a assuré dimanche qu'il allait "(s)'assurer que les armes soient fournies à l'Ukraine", mais a prévenu que de "gros ensembles" d'aides ne seraient débloqués qu'à condition que la sécurité à la frontière entre Etats-Unis et Mexique soit renforcée.

Le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a appelé les parlementaires à respecter "l'engagement américain à fournir une aide urgente nécessaire aux Ukrainiens qui se battent pour défendre leur pays".

"L'Amérique doit être à la hauteur de sa parole et continuer à diriger", la coalition internationale d'aide à l'Ukraine, a-t-il exhorté dans un communiqué.

A Moscou, cette situation est évidemment bien accueillie. Le Kremlin s'est même dit persuadé que la "lassitude" allait "s'accroître dans différents pays".

La réplique des pays alliés de l'Ukraine a été rapide. Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne se sont retrouvés lundi à Kiev pour une "réunion historique" visant à tracer les lignes d'un "soutien durable" à l'Ukraine, confrontée à l'invasion russe et qui ambitionne d'intégrer l'UE.

La Russie qu'elle "ne doit pas compter" sur la "lassitude" de l'Union européenne, a répondu la ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna. Pour le porte-parole de la Maison Blanche, Vladimir "Poutine se trompe s'il pense qu'il va tenir plus longtemps que nous".

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama avec AFP Journaliste BFM Éco