BFM Business
Aéronautique

Le Japon veut entrer dans la course aux avions de ligne avec un choix technologique audacieux

Le pays va officialiser son projet de commercialiser d'ici à 2035 un avion de nouvelle génération, qui sera développé par plusieurs entreprises privées dont Mitsubishi. Il pourrait utiliser en partie l'hydrogène comme mode de propulsion.

Alors que la demande en avions neufs de la part des compagnies aériennes n'a jamais été aussi forte, le Japon entend obtenir sa part du gâteau.

Le pays devrait en effet officialiser ce mercredi un important projet industriel visant à construire un avion de ligne d'ici à 2035. Il sera développé par un consortium de plusieurs entreprises privées dont Mitsubishi Heavy Industries (MHI) avec un fort soutien de l'Etat.

Airbus a-t-il réalisé en 2023 la plus belle année de son histoire?
Airbus a-t-il réalisé en 2023 la plus belle année de son histoire?
2:48

Des investissements publics et privés de 5.000 milliards de yens (plus de 30 milliards d'euros) vont être fléchés pour la réalisation de ce programme, selon le journal économique Nikkei.

Des ambitions contrariées

Si le projet se concrétise, le Japon pourrait un peu bousculer le duopole constitué par Airbus et Boeing, duopole qui est également contesté par la Chine avec Comac.

Les ambitions du Japon dans l'aéronautique civile ne sont pas nouvelles. Après le YS-11, un court-courrier produit dans les années 1960-70 construit par Nihon Aircraft Manufacturing Corporation, le projet SpaceJet (piloté uniquement par MHI) devait permettre au Japon de faire un retour en force.

L'appareil est présenté pour la première fois au salon du Bourget en 2007, et son premier vol eut lieu en novembre 2015. Mais le programme est gelé en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19 et de l'augmentation des coûts de développement, et il est officiellement abandonné en février 2023.

Il aura coûté la bagatelle de plus de huit milliards d'euros à Mitsubishi.

Cet échec n'empêche pas le Japon de chercher une nouvelle voie. Car comme l'a rappelé Kazuchika Iwata, l'un des ministres adjoints du Meti (ministère de l'Economie, du Commerce et de l'Industrie), le pays "ne peut pas se satisfaire" de son statut actuel dans ce secteur, où il est cantonné à un rôle de fournisseur de pièces.

L'idée est de proposer, avant les grands avionneurs, un modèle qui pourrait utiliser en partie l'hydrogène comme mode de propulsion. "Dans les nouveaux domaines d'activité des technologies neutres en carbone, y compris l'hydrogène, nous voulons prendre une position de premier plan", a souligné le ministre.

L'hydrogène ne fait pas l'unanimité

Il faut dire que l'hydrogène est un pilier de la stratégie japonaise de transition énergétique. De nombreuses entreprises du pays sont déjà largement impliquées dans ce domaine, notamment des constructeurs automobiles, comme Toyota et Honda.

Pour autant, la recherche et développement autour de l'avion à hydrogène est encore à ses débuts. Airbus travaille avec ArianeGroupe sur le projet "ZEROe" et espère le faire également voler d'ici à 2035.

Reste que les avis sur le sujet sont loin d'être unanimes. Du côté de Dassault, on estime ainsi que l'hydrogène est un vœu pieux dans le monde de l'aérien.

"Je ne crois pas à l'hydrogène car l'hydrogène c'est très dangereux, a dit le patron de Dassault Aviation, Eric Trappier, au micro de BFM Business. On a étudié [les avions à hydrogène] et on a conclu que ce n’était pas possible dans un avenir de décennie(s)."

Un avion à propulsion hydrogène pourrait voir le jour en 2035, estime de son côté Jean-Marc Fron, le directeur général de Boeing en France sur BFM Business. Mais il sera de petite taille, soit 15 ou 20 passagers, et ne serait cantonné qu'à un petit segment de marché. "On sait que cela ne peut pas répondre aux besoins à terme de tout ce qui est long-courrier".

En attendant, le chinois Comac monte en puissance

Ce choix technologique est donc risqué pour le Japon. Car il exigera beaucoup d'investissements et surtout du temps, ne serait-ce que pour la certification. En attendant, la Chine, avec un appareil traditionnel moyen courrier espère grappiller des parts de marché.

Car si le chinois Comac est encore un nain face à Airbus et Boeing sur le terrain des appareils moyen-courriers, il poursuit sa montée en puissance profitant de généreuses commandes des compagnies locales et régionales (notamment au dernier salon de Singapour) pour son C919 qui vient concurrencer le 737 Max de Boeing et la famille des A320 d'Airbus.

Rappelons qu'en dehors de la Chine et de quelques pays d'Afrique, le C919 n'est pas autorisé à voler ailleurs, l'appareil n'ayant pas été certifié par la FAA (Federal Aviation Administration) et l'EASA (European Aviation Safety Agency).

Mais il constitue une épine dans le pied d'Airbus et de Boeing dans leur conquête du ciel chinois (20% du trafic aérien mondial) où ils se partagent 98% du marché. La demande croissante pour le transport aérien à bas coût en Asie du Sud-Est pourrait générer un besoin de plus de 4.000 nouveaux avions dans cette région d’ici 2042.

D'autant plus que l'entreprise d'Etat n'entend pas en rester là, il planche actuellement sur son premier avion gros porteur, le C929 qui en est au "stade de la conception détaillée", a déclaré un dirigeant ce mardi.

Olivier Chicheportiche avec AFP