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TOUT COMPRENDRE. Prix plancher sur les produits agricoles: pourquoi le dispositif pose question

Après l'annonce d'Emmanuel Macron samedi, la conformité d'un prix minimum garanti avec les règles de concurrence et l'impact du dispositif sur la compétitivité de la filière tricolore interrogent grandement.

Alors que l'ouverture du Salon de l’agriculture a été marquée par des heurts inédits sur fond de colère sociale ce samedi 24 février, il a aussi été l’occasion de plusieurs annonces clé de la part du chef de l’Etat. En réponse au problème de rémunération des producteurs et des éleveurs, Emmanuel Macron s’est en effet engagé à mettre en place des prix plancher sur les produits agricoles.

Un dispositif séduisant qui pose pourtant de nombreuses questions quand on tente d'imaginer concrètement ses contours.

• En quoi consistent les prix plancher?

Le principe est simple: la fixation de prix plancher consiste à définir le coût minimum d’un produit agricole, comme 1kg de viande ou encore 1 litre de lait. Ce prix doit être suffisant pour couvrir les coûts de production, la main d’œuvre, les charge et la protection sociale. Le but: permettre aux agriculteurs de ne plus vendre à perte et même de dégager un peu de revenu.

"Ce sera un prix plancher en dessous duquel le transformateur ne peut pas l'acheter et donc en dessous duquel, après, derrière, le distributeur ne peut pas vendre. C'est ça qui manque", a indiqué Emmanuel Macron pendant une conférence de presse improvisée samedi.

Les industriels et les distributeurs auront donc à réaliser leurs négociations annuelles sur la base de ces prix minimum.

"L'objectif que je fixe aux travaux qui ont été lancés par le Premier ministre est de déboucher sur ces prix plancher qui permettront de protéger le revenu agricole et de ne pas céder à toutes les pratiques les plus prédatrices qui sacrifient nos agriculteurs et leurs revenus aujourd'hui", a-t-il encore déclaré.

• Comment seront fixés ces prix plancher?

"Dans chaque filière, un indicateur doit être construit et il doit servir de prix plancher pour garantir le revenu agricole", a expliqué Emmanuel Macron. C’est donc pour chaque filière (laitière, bovine, etc) que ces prix minimums garantis devront être fixés.

Mais la fixation de prix par filière n’est pas chose aisée puisque les coûts varient parfois considérablement d'une exploitation à l'autre.

"Si on prend l’exemple du lait, en fonction de la région de production, la taille de l’exploitation, les investissements faits ou non, on n'a pas du tout les mêmes coûts de production", souligne Philippe Goetzmann, consultant dans l'agroalimentaire.

• Quelle différence avec les indicateurs actuels?

Dans le cadre des lois Egalim, censées protéger le revenu des agriculteurs, les organisations fédérant producteurs, industriels et distributeurs - aussi appelées interprofessions- doivent mettre au point un indicateur de coût de production qui fasse référence.

Mais ces indicateurs sont plus ou moins appliqués selon les filières. Par exemple, l'interprofession Interbev publie un indicateur pour les producteurs d'agneaux, censé garantir que l'éleveur puisse se rémunérer à hauteur de deux Smic par mois: entre 9,61 et 11,49 euros le kg en 2022. En revanche, elle ne communique pas d'indicateur pour la viande bovine.

L’idée d’Emmanuel Macron est donc de rendre systématique la fixation de ces indicateurs et qu’ils deviennent une véritable base pour les négociations commerciales dans chacune des filières.

Toutefois, le président de la République a précisé que ces indicateurs seront "opposables" par les autres acteurs de l’agroalimentaire. Ce qui pose la question de leur caractère obligatoire et d’une réelle différence avec les indicateurs actuellement prévus par les lois Egalim.

Le prix plancher agricole est-il la solution ? - 26/02
Le prix plancher agricole est-il la solution ? - 26/02
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• Quel champ d’application ?

Le terme de prix plancher laisse supposer qu’il s’appliquera à l’ensemble des produits à "leur sortie de la ferme". "En ce sens, on s’attend à ce que le dispositif ait un champ d’application plus large qu’Egalim et donc que la grande distribution", déduit Philippe Goetzmann.

"Ces prix minimums s’appliqueraient ainsi aux produits destinés à l’industrie, à l’export ou encore aux cantines et aux restaurants", précise-t-il.

Mais l’exécutif n’a pour l’heure donné aucune information confirmant un champ d’application élargi.

• Quid de la concurrence ?

La mise en place de prix plancher généralisé par produit agricole poserait également la question de la conformité avec les règles commerciales actuelles et du respect de la concurrence.

"Quand on décide un prix c'est normalement contraire au droit de la concurrence", a réagi lundi la directrice de la Coopération laitière, Carole Humbert, lors d'une conférence de presse au Salon de l'agriculture.

"Ou alors ça veut dire qu'on change les règles de la concurrence et (...) que l'agriculture sort des lois du commerce, mais cette autorisation aujourd'hui, on ne l'a pas. Les biens agricoles et les biens alimentaires sont soumis aux mêmes règles que n'importe quel produit commercialisé", a-t-elle ajouté.

"Une telle mesure est irrecevable au niveau des règles de la concurrence européennes", corrobore Philippe Goetzmann.

L'Autorité de la concurrence sanctionne régulièrement des "cartels" s'étant entendus par exemple sur le prix du jambon ou des légumes en conserve, alourdissant la facture pour le consommateur.

• Un appel d’air pour les importations?

Le président de la Coopération laitière estime par ailleurs que, dans un marché ouvert, les produits laitiers français doivent "rester dans le match" et donc ne pas coûter trop cher. C'est donc l'impact d'un tel dispositif sur la compétitivité de l'agriculture tricolore qui est interrogé.

"Si on est complètement déconnecté du prix de notre environnement européen, c'est qu'on favorise les importations", a souligné Pascal Le Brun, par ailleurs producteur de lait dans le Calvados.

• Ou une forme de protectionnisme?

Interrogé ce lundi sur BFM Business, Alexis Corbière, député LFI de Seine-Saint-Denis, a plaidé pour une "forme de protectionnisme" et une "exception agriculturelle".

"Si on veut maintenir une agriculture qui nous place dans une situation d’indépendance ou d’autonomie, on ne peut pas s’aligner en permanence sur toute une série de pays" caractérisés par des "coûts de production et de rémunération bas" et par "l’absence d’organisations syndicales", a-t-il poursuivi.

"Le protectionnisme, en agriculture, ce n'est pas possible", a de son côté tranché le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, invité du Grand Jury RTL-Le Figaro-M6 dimanche.

"Quand vous êtes un viticulteur, un producteur de céréales, un producteur laitier, même un éleveur de viandes bovines, vous avez des échanges qui se situent à l'intérieur de l'UE ou au-delà des frontières" européennes, a précisé Arnaud Rousseau.

"Les vins et les spiritueux français sont tout en haut de la balance commerciale agroalimentaire, les céréales évidemment, les produits laitiers on est encore excédentaires et on exporte des fromages", a-t-il énuméré.

Nina Le Clerre avec AFP