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La Fondation Abbé Pierre estime qu'il y a 600.000 logements indignes en France

2,6 millions de ménages sont dans l'attente d'un logement social. Face à la pénurie, ils sont nombreux à accepter de se loger dans des habitats insalubres.

La fenêtre est cassée, les murs sont noircis d'humidité. Le réchaud est au sol et l'électricité prête à disjoncter. Depuis 17 ans, Belkheir loue un studio insalubre à Saint-Denis, en banlieue parisienne, avec l'espoir d'être relogé. "Je ne veux pas mourir ici", lâche-t-il. C'est un immeuble à première vue banal du quartier de La Plaine. À l'été 2022, sa façade blanche aux volets verts décrépits a pourtant été décorée d'un arrêté préfectoral faisant état de l'insalubrité d'un appartement situé au premier étage.

Rien d'une surprise pour Belkheir, 49 ans, et son malinois Dax, 12 ans, qui cohabitent au quotidien dans cette pièce de onze mètres carrés, au prix de 450 euros par mois et avec parfois la visite d'un cafard ou d'un rat. Tout y est à refaire. "C'est pas une vie", résume cet Algérien, agent de sécurité dans une grande enseigne de bricolage, les cheveux noirs cirés et les cernes indélébiles.

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La nuit, le ruban adhésif qui entoure sa fenêtre est un piètre bouclier contre le froid et le bruit de l'avenue en contrebas. Et sur son lit simple cachant un recoin de moisissures malodorantes, "je dors comme un chien", souffle-t-il. Après les foyers et les squats, c'est en 2007 que Belkheir déniche ce "bon plan". Les lieux ne payaient pas de mine, mais "à l'époque j'étais sans papiers, j'avais pas le choix". Il détient à présent une carte de séjour. L'homme n'y prend plus de vraie douche: le ballon d'eau chaude fait sauter son compteur électrique, comme d'autres prises de l'appartement, et les canalisations fuient.

Un logement privé sur cinq à Saint-Denis

Autour de lui, c'est aussi un meuble de cuisine aux portes défoncées, des vêtements entassés dans des cartons gondolés. Des médicaments contre le stress, des arrêts maladie dispersés. L'habitat indigne pourrait concerner au minimum 600.000 logements en France, estime la Fondation Abbé Pierre, qui a mis en lumière ce fléau dans son rapport annuel. À Saint-Denis, ville populaire de Seine-Saint-Denis qui accueillera cet été plusieurs épreuves des Jeux olympiques, un logement privé sur cinq serait insalubre, soit 4.500 habitations environ, selon la mairie.

Belkheir affirme que sa propriétaire a toujours refusé de financer des travaux. Et désormais, "elle veut que je dégage", grince-t-il. Contactée, cette dernière a affirmé à l'AFP avoir déjà effectué plusieurs réparations à sa charge dans l'appartement, que son locataire se devait d'"entretenir" et non de "détruire".

"Après l'arrêté d'insalubrité, beaucoup de propriétaires laissent le temps filer. Il suffit d'attendre un nouveau locataire, et là on repart à zéro", commente auprès de l'AFP Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre.

Belkheir rêve d'un appartement "normal, comme tout le monde": "une cuisine à part, une salle de bain propre, une chambre pour moi et un petit balcon pour mon chien". Mais aujourd'hui, "j'ai toqué à toutes les portes", dit-il. Ses demandes de logement social se soldent toujours d'un refus, lui qui se dit dorénavant prêt à déménager "n'importe où". "Je ne veux pas mourir ici", lâche-t-il, le regard tendre vers son vieil animal.

"Les collectivités n'ont pas assez de puissance pour aller plus vite"

En France, 2,6 millions de ménages sont dans l'attente d'un logement social, rappelle Manuel Domergue. Face à la pénurie, ils sont nombreux à se tourner vers le marché le "moins cher", à savoir celui en mauvais état, jusqu'aux marchands de sommeil. À Saint-Denis, 850 logements insalubres, essentiellement en centre-ville, sont en cours de rénovation ou de reconstruction. Un projet qui s'étalera sur 20 ans, selon le maire PS de cette ville de plus de 110.000 habitants, Mathieu Hanotin.

"Les collectivités n'ont pas assez de puissance pour aller plus vite et plus fort sur la résorption de l'habitat indigne", déplore-t-il auprès de l'AFP.

Sans compter que depuis la crise du Covid-19, beaucoup d'immeubles de la commune ont "basculé", estime-t-il.

"Saint-Denis reçoit 700.000 euros de l'État pour les services d'hygiène, alors que la municipalité paye plus de 2 millions d'euros chaque année", souligne pour sa part Manuel Domergue. "Il n'y a pas de baguette magique contre l'habitat indigne", conclut-il. Mais il faut aussi "arrêter de l'alimenter avec des mesures de coupe dans les APL, de baisse de production de HLM, d'expulsions locatives ou de maintien dans la précarité des sans-papiers".

D.L. avec AFP