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Avis d Experts

Mon voisin peut-il utiliser mon terrain pour réaliser ses travaux?

Lorsque des travaux sont réalisés en limite d'une propriété, un droit du "tour d'échelle" s'applique. Mais sous certaines conditions.

Lorsque des travaux sont réalisés en limite d'une propriété, un droit du "tour d'échelle" s'applique. Mais sous certaines conditions. - Foundry / Pixabay

[AVIS D'EXPERT] Lorsque des travaux sont réalisés en limite d'une propriété, un droit du "tour d'échelle" s'applique. Mais il existe plusieurs conditions à remplir. Décryptage de nos experts Bruno Lehnisch, cadre juridique, et Jean-Philippe Mariani, avocat spécialiste en droit immobilier.

Le droit d'échelle aussi nommé "tour d'échelle" est une servitude qui consiste dans le droit d’une personne à utiliser provisoirement le terrain de son voisin pour réaliser des travaux en limite de sa propriété.

Cette servitude est au cœur d’un paradoxe car deux droits s’opposent:

- d’un côté, le droit de construire en limite de propriété qui implique d’utiliser le terrain limitrophe pour établir cette construction puis l’entretenir ;

- de l’autre, le droit pour le voisin de ne pas subir des intrusions sur sa propriété (échafaudage, engins, tranchées…), étant précisé que la propriété est un droit "inviolable et sacré" (article 17 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789).

On comprend donc que cette servitude soit à l’origine de nombreux litiges de voisinage…

1. La servitude du "tour d’échelle" est définie par la loi

=> FAUX

Étonnamment, et comme le trouble anormal de voisinage (voir notre article sur ce sujet), la servitude du "tour d’échelle" n’est pas définie par la loi.

Le législateur n’est jamais intervenu pour régir cette servitude, soit en interdisant les constructions aux limites de propriété, soit en traçant précisément, dans le code civil, les contours de cette servitude.

Ce sont donc les juges qui ont réglé les conflits au cas par cas. Rappelons en effet le principe énoncé à l’article 4 du code civil : "Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice".

2. La jurisprudence a fixé certains critères pour reconnaitre l’existence du "tour d’échelle"

=> VRAI

Dans le silence de la loi, la jurisprudence a dégagé certains critères pour accepter la servitude du "tour d’échelle":

- les travaux doivent avoir un caractère indispensable ; l'accès chez le voisin suppose que toute tentative pour effectuer les travaux de chez soi, même au prix d'une dépense supplémentaire, se révèle impossible ;

- les modalités de passage, la marge d'empiétement et le temps d'intervention doivent être aussi restreints que possible. Le propriétaire voisin est en droit d'obtenir des réparations au titre des détériorations éventuelles et des troubles de jouissance inhérents au chantier.

3. Le tour d’échelle est réservé exclusivement aux travaux de réparation ou d’entretien de bâtiments existants

=> FAUX

La servitude du "tour d’échelle" a longtemps été réservée par les juges aux travaux de réparation ou d’entretien de bâtiments existants.

Tel n’est plus le cas depuis un arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 2020 qui étend la servitude aux constructions nouvelles (Cass. 3e civ, 12 nov. 2020, n° 19-22.106).

Un arrêt de la Cour d’appel de Lyon, rendu quelques jours plus tard, rappelle parfaitement les contours et limites de cette servitude (CA Lyon, 1re ch. civ. a, 19 nov. 2020, n° 20/02601):

"L’autorisation de tour d’échelle est temporaire et provisoire et ne peut être octroyée qu’aux conditions suivantes :
- la nécessité de réaliser les travaux doit être caractérisée ;
- la réalisation des travaux à partir du fonds du propriétaire requérant doit être impossible même au prix d’un coût plus onéreux ;
- les travaux envisagés ne doivent pas causer au fonds voisin un préjudice excessif ou disproportionné et les éventuels dommages engendrés par eux doivent donner lieu à une indemnisation.

Cette autorisation est destinée à permettre l’entretien et la réparation de constructions existantes. Toutefois, elle doit également s’appliquer à une construction nouvelle sous réserve du respect des règles rappelées ci-dessus".

4. Mon voisin est entré chez moi sans autorisation dans le cadre de "son" droit de tour d’échelle: il doit nécessairement m’indemniser

=> FAUX

Contrairement aux idées reçues, l’intrusion de votre voisin ne suffira pas en tant que tel. Il vous appartiendra de démontrer un préjudice financier résultant de cette intrusion chez vous, comme vient de l’illustrer un autre arrêt de la cour d’appel de Lyon:

"M. X a remplacé lui-même des tuiles cassés avec des tuiles anciennes restées en sa possession, s’agissant d’un modèle qui n’était plus commercialisé. Dans ces conditions, il n’est démontré aucun préjudice financier à défaut d’acquisition de tuiles de remplacement et/ou d’exposition d’un coût de main d’œuvre".

"M. J a commis une faute en ne demandant pas l’autorisation de leurs voisins pour une intrusion sur leur toit, quand bien même ceux-ci n’auraient pas été fondés à la refuser, étant tenus à la servitude dite "de tour d’échelle" pour permettre la réalisation des travaux d’enduit du pignon qui nécessitaient de prendre appui sur leur toiture".

En l’espèce aucune dégradation n’était à déplorer chez le voisin. Les juges écartent donc tout dommage financier résultant de cette intrusion et déboutent ainsi les demandeurs (CA Lyon, 6e ch., 4 mars 2021, n° 19/06031).

Les 3 points-clés à retenir:

- Étonnamment, la servitude du "tour d’échelle" n’est pas définie par la loi

- Parce qu’elle porte atteinte au droit de propriété de votre voisin, le juge exercera, au cas par cas, un contrôle de proportionnalité. Autrement dit, "l’intrusion" chez votre voisin devra être "raisonnable" et aussi limitée que possible, à la fois dans le temps et dans l’ampleur de la gêne occasionnée à votre voisin sur son terrain.

- Les éventuels dommages engendrés par vos travaux devront donner lieu à une indemnisation au profit de votre voisin.

Bruno Lehnisch, cadre juridique, et Jean-Philippe Mariani, avocat spécialiste en droit immobilier

Bruno Lehnisch