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David Semhoun

Quels sont les loyers commerciaux exigibles lors des fermetures administratives?

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En période d'urgence sanitaire, certains commerces ont reçu l'obligation de fermer. Mais aucune disposition légale n’est venue suspendre, annuler, reporter les loyers commerciaux dus aux bailleurs. Décryptage de notre expert David Semhoun, avocat au barreau de Paris.

En cette période d’état d’urgence sanitaire, la question du sort des loyers commerciaux exigibles au cours des mois de fermetures administratives se pose de plus en plus. Aucune disposition légale n’est venue suspendre, annuler, reporter les loyers commerciaux dus aux bailleurs. Les preneurs et leurs conseils se sont alors tournés vers les solutions légalement offertes, parmi lesquelles l’imprévision, posée à l’article 1195 du Code civil, ou encore la force majeure, posée à l’article 1218.

Le Tribunal judiciaire de Paris par une ordonnance de référé du 10 juillet 2020 avait été saisi indirectement de la question de l’exigibilité des loyers durant les périodes de fermeture administrative. Cependant, si leur exigibilité était remise en cause, ce n’était pas réellement sur le fondement de la force majeure, qui n’avait pas été invoquée par le preneur. En tout état de cause, par deux nouvelles ordonnances de référé, en date du 26 octobre 2020, le Tribunal judiciaire de Paris a eu à traiter cette question, plus directement.

Les faits

En l’espèce, il s’agissait d’un bail commercial portant sur un local situé dans un centre commercial. Du fait de la fermeture administrative, le preneur a accumulé des arriérés de loyers constitués pendant la période juridiquement protégée correspondant au 2ème trimestre 2020. Les parties se retrouvent devant le Tribunal judiciaire de Paris pour trancher la question de l’exigibilité des loyers durant cette période.

La procédure

Le tribunal rappelle tout d’abord les dispositions de l’article 4 de l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, modifiée, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période. Cet article vise à interdire l'exercice par le créancier d'un certain nombre de voies d'exécution forcée pour recouvrer les loyers échus entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020. Cependant, comme le rappelle le juge, il n'a pas pour effet de suspendre l'exigibilité du loyer dû par un preneur à bail commercial dans les conditions prévues au contrat, qui peut donc être spontanément payé ou réglé par compensation.

Enfin, est rappelé le fondement légal de la bonne foi dans l’exécution des contrats, à savoir l'article 1134 (anciennement) devenu 1104 du Code civil. Cet article disposant que les contrats doivent être exécutés de bonne foi, ce dont il résulte que les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d'exécution de leurs obligations respectives.

Le preneur réclamait la suspension de cette exigibilité en invoquant tant l’exception d’inexécution que la force majeure, ou encore le manquement du bailleur à son obligation de délivrance.

Sur la force majeure :

S'agissant d'une obligation de somme d'argent, le moyen tiré de la force majeure, ou de la théorie des risques, soulevé par la société preneuse pour solliciter la suspension de ses loyers pendant la période juridiquement protégée est inopérant.

Sur l’obligation de délivrance :

S’agissant du manquement à l’obligation de délivrance invoqué par le bailleur, le contexte sanitaire ne saurait en lui-même générer un manquement par le bailleur à son obligation de délivrance du bien loué, juge le Tribunal. Ces circonstances ne lui étant pas imputables. Le Tribunal considère, en effet, qu’il n'est pas démontré que la bailleresse a manqué à son obligation de délivrance des locaux.

Sur l’application de l’article 1725 du fait du trouble causé par les pouvoirs publics:

Pour rappel, le bailleur n'est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance, sans prétendre d'ailleurs aucun droit sur la chose louée ; sauf au preneur à les poursuivre en son nom personnel. Dans ce cas précis, les pouvoirs publics, en l’occurrence l’Etat, prévoit que les commerces seront fermés. Ce trouble causé par un tiers peut-il être reproché au bailleur ? Négatif répond le Tribunal. Le trouble venant des pouvoirs publics assimilés à un tiers au sens de l'article 1725 du Code civil, qu’il soit de fait ou de droit, n’est pas imputable au bailleur.

Sur l’exception d’inexécution :

Pour rappel, l’exception d’inexécution est visée à l’article 1219 du Code civil. Cet article dispose qu’une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. S’agissant de l'exception d'inexécution, soulevée par la preneuse, de ses obligations issues du bail, doit être étudiée à la lumière de l'obligation pour les parties de négocier de bonne foi les modalités d'exécution de leur contrat en présence des circonstances précitées.

Sur la demande de suspension de loyers :

Enfin, s'agissant de la demande de suspension des loyers, les parties avaient échangé en vue de trouver un accord amiable. Le preneur fait état d'arguments portant sur l'accès des locaux pendant la période et l'attitude de son bailleur au cours de cette période. La bailleresse conteste ces arguments. Le juge des référés s’estime incompétent et retient qu’une telle analyse relève du juge du fond. Cette analyse, en effet, suppose une appréciation concrète des situations respectives des contractants et de leurs échanges pendant la période considérée.

En définitive, le Tribunal judiciaire considère que ces deux derniers points (l’exception d’inexécution et la suspension des loyers), sont sérieusement contestables. Rappelant qu’aucun dommage imminent ni trouble manifestement illicite n'est non plus démontré par le bailleur.

Sur les délais de paiement :

Pour rappel, les dispositions de l'article 1343-5 du Code civil donnent au juge, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, la faculté de reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Pour cela, il faut que la partie en difficulté démontre la réalité de cette situation et qu’elle offre des garanties de paiement. En l'espèce, considère le Tribunal, le preneur justifie d'une situation économique exceptionnelle en lien avec les difficultés de son secteur d'activité. Elle ne produit toutefois aucun élément comptable permettant de faire état de sa situation financière de manière exacte. En conséquence les délais seront limités à 10 mois. Ce délai sera caduc en cas d'impayé de ses échéances courantes et l'intégralité de la somme due deviendra alors immédiatement exigible.

En conclusion

Cette décision ouvre une première voie pour les preneurs qui entendent contester les loyers exigibles pendant les mois de fermeture. Il doit être gardé à l’esprit que cette décision est limitée à un cas d’espèce particulier (avec des négociations entre les parties), et ne répond pas à toutes les questions posées par les locataires. Etant précisé qu’il s’agit en outre d’une décision de référé. Cependant, il est à parier qu’elle ouvrira de plus en plus la voie à d’autres affaires, au fond, cette fois, qui trancheront dans les prochains mois, le sort desdits loyers face aux fondements relatifs à la force majeure, à l’imprévision et, plus globalement, à l’obligation de délivrance.

David Semhoun, avocat au barreau de Paris

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