BFM Immo
David Semhoun

L'indemnité d'éviction du locataire d'un bail commercial peut inclure les frais de dépollution du site

BFM Immo
L’intérêt premier du bail commercial pour le preneur à bail réside dans la "propriété commerciale" conférée par le statut protecteur des baux commerciaux. Ce principe permet au preneur de se maintenir dans les lieux loués jusqu’au parfait paiement de cette indemnité, qui peut notamment inclure des frais de dépollution. Décryptage de notre expert David Semhoun, avocat au barreau de Paris.

Les faits

En l’espèce, un office public de l’habitat consent un bail commercial portant sur divers locaux à usage commercial à une société aux fins d’y exploiter une station-service.

En fin de bail commercial, le bailleur signifie au preneur un congé avec refus de renouvellement, l’informant d’un projet de démolition et de reconstruction des locaux loués, et il lui offre une indemnité d’éviction.

L’assiette de l’indemnité d’éviction

Pour rappel, l’article L.145-14 permet au bailleur de refuser le renouvellement du bail commercial. Toutefois, poursuit le texte, ce bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. L’indemnité d’éviction comprend-elle les frais de la dépollution du site à laquelle est tenu chaque preneur exerçant une activité polluante? Oui, répond la cour d’appel de Paris le 8 juillet 2020, dans son avis n° 18/23545.

L'obligation de dépolluer au départ des lieux

Le preneur exerce une activité de station-service, soumise à la réglementation des installations classées pour la protection environnementale (IPCE), et doit, au départ des locaux, procéder à des mesures de dépollution qui seront constatées par un procès-verbal de récolement.

C’est ce que rappelle l’article L. 512-12-1 du Code de l’environnement, lequel dispose que lorsque l'installation soumise à déclaration est mise à l'arrêt définitif, l'exploitant place le site dans un état tel qu'il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et qu'il permette un usage futur comparable à la dernière période d'activité de l'installation. Il en informe le propriétaire du terrain sur lequel est sise l'installation ainsi que le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'urbanisme.

La décision de la cour d'appel de Paris

Dans ce cas d’espèce, bailleur et preneur s’affrontaient sur la question de savoir si l’indemnité d’éviction que versait le bailleur devait également inclure les frais de dépollution du site, normalement à la charge du preneur. Or, en sa qualité de dernier exploitant du site, le preneur est tenu de respecter les dispositions et obligations à sa charge par la réglementation sur les IPCE. Cela supposant, notamment, de prendre en charge la dépollution des lieux. C’est pour cette raison qu’il soutenait que ces frais soient inclus dans l’indemnité d’éviction que devait lui régler le bailleur.

Au visa de l’article L.145-14 du Code de commerce, la cour d’appel de Paris, saisie à l’occasion de ce litige, rappelle que l’indemnité d’éviction doit couvrir l’entier préjudice subi par le locataire du fait du défaut de renouvellement du bail commercial.

En l’espèce, apprécie-t-elle, les frais de mise en sécurité ou de dépollution, et éventuellement de retrait des réservoirs, étaient directement liés à l’éviction avec arrêt de l’exploitation. Elle en conclut qu’ils devaient donc être indemnisés au titre des indemnités accessoires. Elle retient, en effet, le lien direct entre l’obligation de procéder à cette dépollution et le fait que le locataire soit évincé des lieux loués. La clause d’accession sans indemnité stipulée au profit du bailleur vient-elle minorer les frais de réinstallation alloués au preneur ? Non, répond la cour d’appel de Paris.

En outre, le preneur à bail sollicitait du juge l’indemnisation des dépenses à engager pour reconstruire les bâtiments nécessaires à son activité. Sur ce point, le bailleur répondait que la clause d’accession figurant au contrat, et qui prévoyait qu’il deviendrait propriétaire des améliorations et constructions réalisées sans indemnité, s’opposait à ce qu’il prenne en charge ces frais de reconstruction.

La cour d’appel déboute le bailleur de sa demande en retenant qu’une clause d’accession sans indemnité ne peut priver le preneur évincé d’être indemnisé des frais de réinstallation dans un nouveau local bénéficiant d’aménagements et d’équipements similaires à celui qu’il a été contraint de quitter.

Dans le cas d’espèce, le locataire ne démontrait pas qu’il ne serait pas en mesure de reprendre l’exploitation d’une station-service préexistante, sans avoir à procéder à son édification. La cour a donc limité le montant qu’il demandait au titre de sa réinstallation.

L’article L.145-14 vient en effet réparer l’entier préjudice mais rien que le préjudice. Cet article est à compter au rang de ceux qui sont d’ordre public (en dépit de son énumération dans la liste des articles auquel renvoi l’article L. 145-15 du Code de commerce) et les parties ne peuvent y déroger. Ses dispositions sont donc interprétées strictement. Et pour cause, le non-renouvellement du bail commercial crée un préjudice pour le preneur, que l’indemnité qui lui est versée doit permettre de réparer en lui permettant de se rétablir dans la même situation que celle qui aurait été la sienne si le bail avait été renouvelé.

En cela, la décision rendue par la cour d’appel de Paris est conforme aux dispositions de l’article L. 145-14 du Code de commerce, mais également aux solutions retenues sur le fondement de cet article. En effet, le 11 septembre 2013, la Cour de cassation (Cass. Civ. 3ème, 11 septembre 2013, n° 12-15.425, FS-D) avait admis la compensation entre le montant engendré par l’obligation de dépollution avec l’indemnité d’éviction due par le propriétaire refusant le renouvellement du bail commercial. La décision commentée confirme cette solution.

David Semhoun, avocat au barreau de Paris

David Semhoun