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Bruno Lehnisch

Comment le droit encadre les troubles anormaux de voisinage liés aux animaux

A Mouvaux, le chant d'un coq avait provoqué la colère des voisins.

A Mouvaux, le chant d'un coq avait provoqué la colère des voisins. - BFM Lille

[AVIS D'EXPERT] Les chants de coqs à la campagne ou les aboiements de chiens en ville sont à l'origine de nombreux conflits judiciaires. Décryptage de nos experts Bruno Lehnisch, conciliateur de justice, et Jean-Philippe Mariani, avocat spécialiste en droit immobilier.

Qu’est-ce qu’un trouble anormal de voisinage?

Le trouble anormal de voisinage n’est défini par aucun texte. Ce sont les juges qui ont créé cette notion et ont dégagé les 4 grands principes applicables :

1. Nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage ; a contrario, les troubles normaux de voisinage ne sont pas répréhensibles. Par exemple tondre sa pelouse en journée ou avoir une discussion animée à table constituent un trouble normal qui doit être "supporté" par le voisinage ;

2. Le trouble anormal de voisinage peut recouvrir toutes sortes de nuisances : sonores,
olfactives, visuelles... ;

3. On peut invoquer un tel trouble sans qu’il ne soit nécessaire de prouver une faute
de la part de l’auteur des désordres ; le trouble peut donc résulter d’une activité licite.

4. Le caractère anormal du trouble s’apprécie objectivement et non en fonction de
la sensibilité de celui qui prétend le subir.

Une démarche amiable préalable avec ses voisins est-elle obligatoire?

Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, dont la discussion parlementaire est en voie d’achèvement, prévoit, en son article 29 ter, qu’une démarche amiable (médiation, conciliation…) est obligatoire avant toute action fondée sur un trouble anormal de voisinage, quel que soit nature du trouble allégué et le montant des dommages et intérêts sollicités.

Cette nouveauté, issue d’un amendement de la députée LREM Laurianne Rossi, entrera donc en vigueur dans les prochaines semaines, dès que la loi sera promulguée. Le législateur a estimé que les troubles de voisinage se prêtaient naturellement à une tentative de solution amiable.

Quel est le trouble de voisinage le plus fréquent?

Le "trouble anormal de voisinage" est souvent associé aux différentes nuisances sonores causées par des voisins, singulièrement la nuit. En réalité le "tapage nocturne" est loin de constituer le seul trouble sonore de voisinage. En effet, d’une part, les troubles de voisinages peuvent être provoqués la nuit comme le jour. D’autre part, ils peuvent provenir de tous les "bruits de comportement": ces bruits peuvent ainsi être émis par une personne (cri, chant...), une chose (outil de bricolage, électroménager...) ou un animal.

Précisément, les meilleurs amis de l’homme sont aussi parfois des fauteurs de troubles.

Que dit la jurisprudence sur le trouble anormal de voisinage et les animaux en milieu rural?

La presse se fait régulièrement l’écho d’affaires relatives à des litiges liés à des bruits d’animaux dans nos campagnes: chants des cigales au Beausset dans le Var, coassements de grenouilles à Grignols en Dordogne, cancanements de canards et d'oies à Soustons dans les Landes, cri du coq "Marcel" dans le Morbihan

Ces litiges traduisent une évolution profonde de la société: la population est de moins en moins tolérante au bruit. "De manière générale, y compris dans les territoires ruraux, chaque habitant considère son lieu de vie de plus en plus comme un "îlot", déconnecté de l'îlot voisin" analyse un récent rapport sénatorial[1]. En réponse à une question écrite d’un sénateur, le gouvernement vient d’ailleurs d’indiquer que le Conseil national du bruit travaillait actuellement à la caractérisation juridique du trouble anormal de voisinage, dès lors qu’il n’est actuellement défini par aucun texte juridique (voir plus haut)[2].

Les résidents de la campagne, surtout lorsqu’il s’agit de néo-ruraux, ont tendance à rechercher la tranquillité. Dans sa célèbre fable sur le rat des villes et le rat des champs, Jean de la Fontaine ne s’y était pas trompé. Le rat des champs reconnaît bénéficier de moins d’aménités que le rat des villes, mais ce dernier ne jouit pas d’un environnement aussi calme:

"Mais rien ne vient m'interrompre ;
Je mange tout à loisir.
Adieu donc ; fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre !"

Un arrêt, rendu par la cour d’appel de Nancy le 23 septembre 2021 (n° 20/01785), souligne la difficulté de démontrer un trouble anormal de voisinage. Dans cette affaire, un résident avait agi en justice, après sa retraite, pour obtenir la soustraction du coq du poulailler du centre éducatif fermé voisin sous prétexte que ce coq lui causait un "préjudice sonore infernal". Les juges relèvent que ses autres voisins déclaraient ne subir "aucun dérangement" et que son voisin immédiat attestait ne subir "aucune nuisance". En conséquence, les juges déboutent le demandeur et le condamne même pour procédure abusive :

"L’action judiciaire engagée par M. X pour la présence d’un seul coq (voire deux simultanément pendant quelques semaines) présent dans un poulailler qui n’était même pas situé dans un espace contigu à son habitation (…), dans un environnement purement rural (…), apparaît manifestement abusive. Cette action a conduit l’association Réalise à dépenser beaucoup d’énergie pour sa défense et à tenter de trouver des solutions pour apaiser M. X (notamment en déplaçant le poulailler), en pure perte. L’action en justice de M. X a donc été préjudiciable à l’association Réalise. Aussi convient-il de condamner M. X à payer à l’association Réalise la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive".

Toutefois, un autre arrêt montre que les plaignants ont parfois gain de cause et peuvent obtenir un dédommagement pour le préjudice subi :

"C’est par des motifs pertinents, que la cour adopte, que le premier juge a retenu que la réalité des nuisances sonores en provenance de l’habitation de M. Z était établie par attestations, ainsi que par les constatations faites par la police municipale et lors du transport sur les lieux du tribunal et en a déduit que, par leur importance, ces désagréments étaient constitutifs d’un trouble anormal du voisinage" (CA Amiens, 1re ch. civ., 1er déc. 2020, n° 19/05293). Le fauteur de trouble est ainsi condamné à 500 € de dommages et intérêts.

Pour autant, les arrêts reconnaissant le trouble de voisinage du fait d’animaux de la ferme sont isolés. Et ils le seront de plus en plus. En effet, une loi a été adoptée le 29 janvier 2021 afin "de définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises". Le code de l’environnement précise désormais que les sons et odeurs des milieux naturels "font partie du patrimoine commun de la nation" (art L. 110-1 du code de l’environnement). Cette loi est née précisément de la volonté du législateur de limiter les actions dirigées contre les odeurs et les bruits de la campagne. Les troubles de voisinage sont donc nécessairement plus difficiles à alléguer depuis l’entrée en vigueur de cette loi.

Que dit la jurisprudence sur le trouble anormal de voisinage et les animaux en milieu urbain?

L’analyse de la jurisprudence souligne qu’en milieu urbain ou péri-urbain, les nuisances sonores proviennent le plus souvent de l’aboiement des chiens.

Citons quelques arrêts emblématiques.

1. Dans un arrêt, rendu par la cour d’appel de Metz le 28 janvier 2021 (n° 19/01405), un propriétaire mosellan, excédé par l’aboiement d’un chien, avait engagé une action indemnitaire. Les juges le déboutent au motif que "les aboiements de l’animal, dont la fréquence et l’intensité alléguées ne sont pas établies par les attestations des appelants émanant de personnes de passage, restent un phénomène naturel".

Les circonstances de cette affaire sont d’autant plus savoureuses que la sœur du plaignant, voisine directe, avait attesté ne subir aucun désagrément du fait du canidé: "S’agissant du trouble allégué causé par leur chien, les intimés soulignent que leur voisine directe et sœur de M. X atteste ne subir aucune nuisance du fait de cet animal et que les appelants n’ont produit aucun témoignage d’autres voisins".

On peut ajouter que l’action du propriétaire s’est retournée contre lui. En effet, il avait mis en place un avertisseur sonore qui était actionné lorsque le chien aboyait. Cet avertisseur émettait "des insultes particulièrement grossières" indique l’arrêt sans plus de précision. Nous laisserons donc les lecteurs, dont nous ne doutons pas de l’imagination en la matière, émettre toutes les hypothèses. Avec une dose certaine de mauvaise foi, le propriétaire a fait valoir devant la justice que les messages injurieux "étaient réservés au chien". La cour relève, non sans humour, que "d’une part que les termes employés ne permettent en rien de le déduire et d’autre part que ces messages ne peuvent être destinés qu’à ceux qui sont en mesure de les comprendre, en l’occurrence les maîtres de l’animal". Non seulement les juges estiment que les aboiements ne constituent pas un trouble anormal de voisinage, mais le plaignant se voit condamné, au visa de l’article 1240 du code civil, à 1.000 € de dommages et intérêts compte tenu des grossièretés proférées au moyen de l’avertisseur sonore. À bon entendeur…

2. Autre arrêt : un résident habitant dans le département des Landes, soutenait qu’il subissait des aboiements de chiens "toute la journée". La cour d’appel de Bordeaux lui donne tort : "Aucune preuve n’est rapportée de l’existence du trouble ainsi allégué, l’huissier de justice ayant entendu aboyer un seul chien et l’expert n’ayant constaté aucune nuisance sonore imputable à des animaux" (CA Bordeaux, 2e ch. civ., 21 janv. 2021, n° 17/03942).

À l’inverse, d’autres arrêts reconnaissent le trouble anormal de voisinage.

3. En 2009, la cour d’appel de Paris a jugé, dans une affaire qui lui était soumise, que les troubles allégués de voisinage étaient justifiés par différentes pièces, parmi lesquelles :

  • a. une pétition signée par différents voisins ;
  • b. des attestations nombreuses d’invités du plaignant "qui notent le caractère intempestif et important des aboiements jusqu’à une heure avancée de la nuit" ;
  • c. un constat d’huissier "qui établit la réalité des aboiements entre 19 heures 36 et 20 heures 26"

La cour d’appel considère :

- que ces bruits, qui excèdent les inconvénients normaux du voisinage sont du fait de M. X qui ne prend pas des mesures nécessaires pour empêcher la réalisation du trouble ; qu’il suffirait en effet de faire entrer le chien dans la maison la nuit ;

- que ces bruits causent un préjudice aux voisins "qui ne peuvent par exemple se tenir dans leur jardin ou sur leur terrasse sans être gênés par des aboiements" ;

- qu’il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement du tribunal de Longjumeau en ce qu’il a condamné M. X à prendre toutes dispositions utiles pour empêcher ses chiens d’aboyer la nuit et limiter au maximum de manière significative leurs aboiements le jour et ce sous astreinte de 100 € par jour de retard ;

- la cour ajoute que les dispositions à prendre pour empêcher le chien d’aboyer la nuit et limiter ses aboiements le jour pourraient "consister par exemple au port d’un collier anti-aboiements le jour et un cantonnement dans la maison la nuit" (CA Paris, 8 oct. 2009, n° 07/14884) ;

4. Autre arrêt intéressant : la cour d’appel de Rennes a admis le caractère anormal du trouble de voisinage en raison de "nuisances sonores anciennes, persistantes, régulières et d’intensité importante résultant des aboiements des chiennes". S’agissant de l’indemnisation des préjudices subis par le plaignant, la cour se montre sévère envers le propriétaire des animaux en raison de l’ancienneté du litige.

"Il résulte suffisamment des attestations et des certificats médicaux produits que les nuisances sonores et l’intrusion des chiennes sur sa propriété ont généré une anxiété importante ainsi qu’un trouble de jouissance évident. Ce trouble anormal du voisinage dure depuis 2009. Les époux X ne démontrent pas en quoi il leur était impossible de déplacer l’enclos plus loin sur leur parcelle de 9.000 m2 afin de résoudre amiablement le litige. Ces éléments justifient qu’il soit alloué à M. Y la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts".

En outre, les juges condamnent les propriétaires des chiennes à "déplacer l’enclos des chiens à l’extrémité sud-est de leur parcelle, de l’autre côté du hangar" et ce sous astreinte de 100 € par jour de retard (CA Rennes, 1re ch., 9 mars 2021, n° 19/01993).

Quels sont les grands enseignements à tirer de ces arrêts?

4 points sont à retenir de ces arrêts :

- L’anormalité du trouble sonore se démontre selon trois critères : la répétition du bruit, son intensité ou sa durée. Il suffit de constater l’un des trois critères pour caractériser un trouble anormal de voisinage. Il s’agit donc de critères alternatifs et non cumulatifs.

- Les juges prennent en considération les circonstances et la situation des lieux dans lesquels le litige est né : "S'agissant des troubles anormaux de voisinage, il appartient à celui qui s'en prévaut d'en rapporter la preuve, étant précisé que la seule preuve d'un trouble de voisinage est insuffisante et qu'il convient également d'établir son caractère anormal notamment au vu du lieu et de l'environnement" (CA Orléans, ch. civ., 21 sept. 2020, n° 18/01010). En conséquence, les juges auront tendance à regarder le chant matinal du coq comme un inconvénient normal de la vie à la campagne.

- Les juges prennent en compte la situation à la date d’installation des plaignants. En d’autres termes, le trouble de voisinage sera difficile à établir s’il était présent au moment où ceux-ci ont élu domicile. Ainsi, dans l’arrêt précité rendu par la cour d’appel d’Amiens (CA Amiens, 1re ch. civ., 1er déc. 2020, n° 19/05293), les juges motivent ainsi leur décision : "Il ressort des attestations versées aux débats, des constatations faites par la police municipale et lors du transport sur les lieux du tribunal que les troubles se sont intensifiés à compter de juillet 2017, date de l’emménagement de M. Z dans la maison précédemment occupée par sa mère". C’est donc la dégradation de la situation qui justifie de faire droit à l’action fondée sur le trouble de voisinage. C’est ce même raisonnement qui est appliqué en cas de litige lié à une perte d’ensoleillement. Ainsi, la cour d’appel de Paris a donné tort à un voisin qui se plaignait de perte d’ensoleillement. Cette dernière était établie mais les juges ont ainsi justifié leur décision : "Dès lors que les terrains des deux parties se trouvent dans un milieu volontairement arboré contribuant au charme de l’habitat dans la commune de Bièvres où l’appelante a choisi de s’installer, les désagréments provoqués par la diminution de l’ensoleillement sont le corollaire prévisible et ordinaire de la présence de ces grands arbres préexistants" (CA Paris, pôle 4 - ch. 2, 10 févr. 2021, n° 18/00358).

- Enfin, pour convaincre les juges de l’anormalité du trouble, il est important de s’appuyer sur les constats d’autres voisins, d’huissiers de justice, voire de la police municipale. En effet, les maires responsables dans leur commune de la tranquillité publique, composante de l’ordre public, sont très régulièrement interpellés sur ces questions de nuisances sonores. Nombreux sont les arrêts qui se réfèrent à l’intervention de la police municipale. Ainsi, la cour d’appel de Grenoble retient que deux agents de la police municipale de Seyssuel attestent que "venu sur les lieux en 2016 dans un esprit de conciliation suite à une plainte pour aboiements, l’un d’eux s’était assis sur le mur de clôture et que les chiens des époux Y ne lui avaient pas aboyé dessus. ils ajoutent n’avoir reçu aucune plainte de voisinage concernant une gêne qui serait occasionnée par ces chiens" (CA Grenoble, 1re ch., 15 juin 2021, n° 18/03211).

Quand le demandeur semble être le seul à se plaindre ou, a fortiori, lorsque d’autres voisins attestent que les animaux ne dérangent pas l’entourage, le plaignant peinera à convaincre les juges du bien-fondé de sa demande…

[1] Cf rapport n° 269 (2020-2021) de M. Pierre-Antoine LEVI, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 13 janvier, sur la proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises : https://www.senat.fr/rap/l20-269/l20-269_mono.html

[2] Réponse en date du 30 septembre 2021 : http://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ210220544.html

Par Bruno Lehnisch, cadre juridique