Iconic Business
La marque française Paraboot exporte 30% de sa production au Japon.

Paraboot

Paraboot, comment le petit artisan de l'Isère est devenu le roi de la chaussure au Japon

L'historique marque de chaussure "made in France" fondée en 1908 est revenue en grâce ces dernières années en conquérant le cœur des branchés urbains, particulièrement au Japon où Paraboot est devenue la première marque de chaussures étrangère sur ce marché.

Le

Quel est le point commun entre l'illustrateur coréen Aaron Chang, la désigneuse parisienne Garance Vallée, le syndicaliste paysan José Bové, la chanteuse Vanessa Paradis ou encore Teddy Santis, le responsable création de la marque de baskets New Balance? Pour le savoir il suffit de jeter un coup d'œil à leurs pieds. Vous les verrez très probablement chaussés d'une paire de derbys en cuir plutôt rustiques aux revers desquelles une petite étiquette verte vous indiquera l'origine: Paraboot.

Depuis quelques années, la petite marque de chaussures iséroise, symbole des années collège des baby-boomers des années 60, bénéficie d'une cote d'amour grandissante auprès des urbains branchés des grandes métropoles. Bobo parisien en goguette à Marseille, hipster new-yorkais dans un coffee-shop du quartier de Williamsburg et surtout influenceur tokyoïte en séance shopping dans le quartier de Ginza... La chaussure derby Michael (le modèle star de la marque créé en 1945) s'affiche désormais aux quatre coins du monde.

Devant la boutique Paraboot dans le quartier de Ginza à Tokyo.
Devant la boutique Paraboot dans le quartier de Ginza à Tokyo. © Paraboot Ginza

C'est en Asie et plus particulièrement au Japon que Paraboot jouit du culte le plus fort. Un engouement qui dépasse même la sphère des branchés influenceurs et touche désormais un large public.

"Nous sommes aujourd'hui la marque de chaussures étrangère numéro 1 dans le pays, assure Eric Forestier, le directeur général de Paraboot. 30% de notre chiffre d'affaires se fait au Japon."

Si en France, la marque a une image de chaussure un peu rustique de paysan endimanché ou de montagnard baroudeur, au Japon, Paraboot est considéré comme un chausseur européen de luxe (comptez 430 euros la paire tout de même). Les boutiques de la marque sont situées dans les quartiers commerçants les plus chics de Tokyo, d'Osaka et de Yokohama avec pour voisinage Hermès, Paul Smith, Dior ou Saint-Laurent.

"Nous ne sommes pas une marque de luxe, se défend pourtant le directeur général de Paraboot. Nous sommes une marque haut de gamme. Nos visuels sont illustrés par des vrais gens et non par des mannequins, nous utilisons les mêmes cuirs que les marques de luxe mais nous vendons nos produits deux fois moins cher. Il faut rappeler qu'au départ, Paraboot c'est des godillots de travail."

C'est cette stratégie de marque qui refuse les codes du luxe ostentatoire qui plaît au Japon.

La première boutique de Paraboot au Japon, dans le quartier d'Aoyama à Tokyo.
La première boutique de Paraboot au Japon, dans le quartier d'Aoyama à Tokyo. © Paraboot

La marque a posé son premier pied sur l'Archipel dans les années 70. Paraboot cherche alors de nouveaux débouchés à l'international loin de ses terres. Julien, le fils du fondateur Rémy Richard (la société a été fondée en 1908) tente l'aventure japonaise à la faveur d'une rencontre avec un importateur local avec qui se noue une solide relation. Accompagné par son fils Michel appelé en renfort pour redresser les comptes.

Les chaussures sont vendues chez des détaillants multimarques et des grands department stores de Tokyo de type Galeries Lafayette. Mais la société a grossi trop vite et la crise économique de la fin des années 70 manque de lui être fatale.

Un dépôt de bilan en 1983

"A l’aube des années 80, la petite manufacture de chaussures, qui réalise 45% de son chiffre d’affaires à l’export, subit de plein fouet l’effondrement du dollar et du yen, et la perte de ses plus gros clients, rappelle Paraboot sur son site. Ceux qui restent peinent à payer leurs factures en cours. Après deux ans de grandes difficultés, Michel Richard provoque le dépôt de bilan fin 1983 mais le syndicat et le tribunal de commerce veulent y croire. La poursuite de l’activité est accordée."

Le fabricant de chaussures en cuir à semelle de gomme se relance en Italie alors que là-bas la mode est en train de changer. Finis le costume sombre et les mocassins brillants à fine semelle de cuir. La veste de tweed, le pantalon à velours et le pull à col roulé prennent possession des vestiaires masculins. Et pour aller avec ils se tournent vers cette petite marque française qui fabrique ces chaussures de qualité un peu rustique.

C'est le début de l'engouement du monde de la mode pour le modèle Michael, une chaussure créée en 1945 en pleine période de restriction. Deux œillets, un lacet plus petit mais solide, un cuir épais avec un bourrelet jouant le rôle de bouclier, une couture robuste (technique dite du cousu norvégien) et une semelle en caoutchouc confortable.

La Michael, modèle iconique de Paraboot, représente à elle seule un tiers des ventes de la marque.
La Michael, modèle iconique de Paraboot, représente à elle seule un tiers des ventes de la marque. © Paraboot

De grands noms de luxe comme Hermès ou Mugler font alors à faire appel à la petite manufacture pour produire leurs propres modèles en marque blanche. Paraboot s'oriente alors vers le chic citadin, lance ses modèles pour femmes et ouvre ses premières boutiques en 1987 à Paris, Nice et Lyon.

Retour au Japon au début des années 2000. La marque française a cette fois les reins solides pour s'implanter durablement dans l'Archipel. Une première boutique est ouverte en 2001 à Tokyo. Six autres suivront en plus des 300 magasins multimarques qui distribuent la marque. Paraboot reste là-bas un faiseur de qualité qui séduit une clientèle plutôt âgée en quête de modèles durables (10 ans minimum de durée de vie).

Il faut cependant attendre la fin des années 2010 pour que la PME française change de dimension.

"Le gros déclencheur c'est en 2019 quand Teddy Santis, le créateur de la boutique Aimé Leon Dore [un magasin branché de Manhattan. NDR] nous a proposé une collaboration pour un modèle de chaussures de montagne, explique Eric Forestier. Ca a immédiatement plu et ça nous a permis de rajeunir notre clientèle en Europe et en Asie. Au Japon, la moyenne d'âge c'est 30-35 ans."

Les boutiques branchées de Paris à Londres en passant par Tokyo et New York veulent leurs Paraboot. C'est le début de la "hype" pour la nouvelle génération. Des dizaines d'autres collaborations suivront avec des marques comme Arpenteur, Barbour, Engineered Garments, The North Face, l'artiste Garance Vallée, la marque de streetwear Hélas ou le magazine GQ.

Des modèles sports de Paraboot.
Des modèles sports de Paraboot. © Paraboot

Surtout si Paraboot avait dû sa renaissance inespérée des années 80 à une certaine décontraction de la mode masculine, le même phénomène est à nouveau à l'œuvre depuis quelques années.

"Les planètes se sont alignées pour nous, reconnaît Eric Forestier. Au Japon, le formalisme de la tenue de bureau s'est assoupli. Il n'y a plus d'obligation de porter des chaussures à semelle de cuir et la semelle en gomme fait une percée. Or c'est Paraboot qui incarne ça aux yeux des Japonais. En plus nos chaussures sont solides, réparables et durables... On est pile dans la tendance."

Sur Instagram, des centaines de comptes d'influenceurs japonais sur la mode masculine (mais aussi de plus en plus féminine) partagent des photos de leur tenue quotidienne. Aux pieds, c'est la marque française qui se taille la part du lion.

Plus de 330.000 tags mentionnent la marque sur Instagram, principalement en Asie.
Plus de 330.000 tags mentionnent la marque sur Instagram, principalement en Asie. © Instragram

Reste maintenant un gros problème à résoudre pour Paraboot: accélérer la cadence pour suivre la demande. Malgré un nouveau site de production de 11.000 m² inauguré en 2017 à Saint-Jean-de-Moirans à 20 km au nord de Grenoble, le chausseur atteint déjà sa limite. Après une croissance de 30% de son chiffre d'affaires en quatre ans (24 millions d'euros en 2022), la société peine à produire plus pour dépasser ce plafond.

"Mon travail c'est de réussir à doubler la production à moyen terme, explique le directeur général de Paraboot. Il faut doubler certains postes pour améliorer la productivité et fluidifier les engorgements, mieux anticiper les collections... Tout l'enjeu pour nous est de passer à une étape industrielle en conservant un savoir-faire artisanal."

Paraboot produit en interne ses propres semelles en caoutchouc selon une méthode unique d'utilisation de latex de haute qualité et chaque chaussure en cousu norvégien nécessite plus de 150 étapes.

Et pour ça, il faut une main d'œuvre qualifiée et surtout la conserver. Or en regroupant ses lignes de production historiques d'Izeaux et Tullins sur le nouveau site de Saint-Jean-de-Moirans, la PME a dû faire face à une hémorragie de salariés.

"Avant, nos salariés faisaient toute leur carrière chez Paraboot, maintenant ils partent plus facilement puisque nous sommes dans une zone d'activité, indique Eric Forestier. Nous sommes comme une start-up, l'ancienneté moyenne dans l'entreprise c'est quatre ans..."

Il faut 150 étapes pour fabriquer une chaussure Paraboot.
Il faut 150 étapes pour fabriquer une chaussure Paraboot. © AFP

Pour résoudre ses problèmes de recrutement, l'entreprise qui compte 140 salariés a changé de stratégie l'année dernière. Plutôt que de chercher des spécialistes de la chaussure, un secteur à l'agonie en France, Paraboot embauche maintenant des profils de gens motivés qu'elle forme en interne. Un processus plus long (comptez six mois pour maîtriser le cousu norvégien) et plus coûteux mais qui permet de limiter les postes vacants.

D'autant que Paraboot, pour améliorer les conditions de travail et attirer les candidats est passée l'année dernière à la semaine de 4 jours pour 35 heures.

"On a amélioré la productivité en passant à 4 jours, assure le directeur général. Ça améliore la qualité de vie, les salariés se sentent mieux et sont plus productifs. Et puis en période d'inflation ça fait un aller-retour de moins à l'usine, donc des dépenses en moins." Une marque décidément dans l'air du temps...

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco