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Le monde qui bouge

Extraire de l'uranium de l'eau de mer, le pari chinois dans l'énergie nucléaire

Ce serait une grande rupture technologique, voire géostratégique. La Chine compte produire de l’uranium marin, d’ici à une dizaine d’années.

Le monde qui bouge, c'est le rendez-vous international de Good Morning Business, tous les matins, sur BFM Business. Benaouda Abdeddaïm décrypte les principaux enjeux économiques liés à l’actualité géopolitique. Il tient également une chronique sur BFMBusiness.com.

Ce qu’il n’y a pas suffisamment chez soi sur terre, il suffit d'aller le chercher en mer. Une démarche entamée par l'Académie chinoise d’ingénierie physique, qui dirige actuellement un projet pour entamer d'ici 5 ans les travaux d’une installation en mesure d’extraire à grande échelle de l’uranium marin. Sa concentration naturelle dans l’eau ne ressort qu’à l’état de trace, mais vue leur taille, les océans formeraient un gisement d’un potentiel sans pareil, avec un rapport de 1 à 1 000 vis-à-vis de l'uranium présent sur terre.

Dans une publication universitaire à Pékin, des chercheurs de l’Institut des technologies nucléaires et des nouvelles énergies disposent que l’amélioration des techniques dans ce domaine devrait devenir "une garantie" de ressources en uranium pour le développement de l’énergie nucléaire, dès lors que, selon eux, l’efficacité d’absorption a été multipliée par plus de trente depuis les années 1960.

Excellent coût

Comment comptent-ils exactement procéder? Ce n’est pas précisément divulgué. En 2018, des spécialistes aux Etats-Unis ont pu extraire suffisamment de ce minerai pour fabriquer 5 grammes de concentré, utilisable dans la production du combustible destiné aux centrales nucléaires, avec la projection d'un prix de revient potentiellement inférieur à celui sur terre. Dans un article académique l’an dernier sur la chimie des matériaux, une autre équipe de chercheurs chinois a, pour sa part, affirmé que la "durabilité exceptionnelle" d’un matériau identifié, l'amidoxime, permettrait d’obtenir de l’uranium marin à un excellent coût.

Pourtant, l’intérêt économique - supposé - de l’opération est encore loin de convaincre l’ensemble des milieux scientifiques et industriels. La dernière recherche en date en Chine donne encore un prix d’extraction dix fois supérieur.

En novembre 2019, la compagnie nationale du nucléaire CNNC a pris elle-même soin d’évoquer "un long chemin à parcourir pour parvenir à un développement commercial", en raison de la concentration extrêmement faible évoquée, ce qui rend "très difficile une extraction rentable".

Levier géopolitique américain

L’accélération annoncée s'explique par les stocks insuffisants de la Chine. Un quotidien de Hong Kong relève que le pays manque d’uranium, avec des réserves inférieures à celles de la France. Au rythme actuel de six à huit nouveaux réacteurs nucléaires par an, le "South China Morning Post" assure qu’en moins de cinq années, les stocks seront épuisés, aussi il faudrait importer massivement du carburant.

Surgit donc l'inquiétude politique de basculer dans une dépendance aux approvisionnements en provenance d’Australie et du Canada, deux des plus proches alliés des Etats-Unis. Un levier géopolitique qui peut être, hypothétiquement, actionné afin de freiner l’immense ambition de la Chine de devenir le plus grand producteur mondial d'énergie nucléaire d’ici à 2030.

Un exploitant minier australien dans l’uranium en Namibie, Bannerman Ressources, a mis cela en perspective. En 2040, le secteur chinois de l’énergie nucléaire pourrait à lui seul consommer davantage d’uranium que la totalité de ce qui a été extrait dans le monde entier en 2019. En conséquence, toute technique de rupture susceptible d’amener à une autonomie devient, en Chine, la bienvenue.

Acquisition au Kazakhstan

Mais en attendant de transformer un jour l’océan, la Chine se tourne d’abord vers ses voisins d’Asie centrale, le Kazakhstan et dans une moindre mesure l’Ouzbékistan, susceptibles de lui fournir du minerai en abondance sans céder aux injonctions géostratégiques américaines.

Fin avril, un accord a été passé avec la compagnie nucléaire kazakhstanaise Kazatomprom pour prendre une participation de 49% dans une exploitation d’uranium. L’acquéreur chinois CGNPC justifie la transaction par le niveau actuel des cours, au plus bas depuis 2007. Un moment jugé "bon" pour acheter, en tablant sur une remontée des prix à mesure que les ressources mondiales à faible coût feraient défaut dans les 10 ans à venir. Le mouvement chinois ne fait donc que commencer.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international