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TGV: pourquoi LeTrain, concurrent de la SNCF, ne pourra pas se lancer avant 2024/2025?

L'entreprise qui entend faire rouler des trains à grande vitesse entre Arcachon, Bordeaux, Angoulême et Poitiers regrette la quasi-impossibilité d'acquérir du matériel d'occasion auprès de la SNCF.

Alors qu'une quatrième offre à grande vitesse va se lancer sur le marché en Espagne, en France, la concurrence face au TGV de la SNCF peine véritablement à émerger. Un seul acteur s'est lancé, le géant italien Trenitalia sur Paris-Lyon-Milan, avec un certain succès.

Les ambitions d'acteurs locaux se heurtent en effet à la dure réalité du marché. "Pour certains nouveaux entrants, les coûts d’entrée, dont l’acquisition des matériels roulants, reste parfois un frein au lancement de nouveaux services. Je souhaite que nous puissions identifier des solutions permettant d’accroître au total le nombre de trains en circulation au bénéfice de tous", a ainsi déclaré en octobre dernier Clément Beaune, ministre délégué aux Transports lors du colloque de l’Association Française du Rail (AFRA).

C'est le cas de la compagnie LeTrain, dont le projet est pourtant avancé, et qui a pour ambition de faire rouler des trains à grande vitesse entre Arcachon, Bordeaux, Angoulême et Poitiers. L'objectif est de faire circuler 50 trains quotidiens dès la première année soit 3 millions de passagers par an.

Des banques moins frileuses

Problème, son calendrier de lancement commercial est sans cesse repoussé: d'abord prévu en septembre de cette année, il ne devrait intervenir au mieux que fin 2024.

Ce retard est d'autant plus paradoxal que l'opérateur dit avoir bien avancé dans son lourd plan de financement avec notamment l'arrivée de Crédit Mutuel Arkea et du Crédit Agricole. Une étape essentielle qui a longtemps posé problème.

Convaincre les banques n'était pas chose aisée tant ce type de projet suscite la frilosité du secteur financier compte tenu des sommes colossales à investir.

"Aujourd'hui, nous sommes financés à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros (50/60 millions, NDLR) et deux levées de fonds sont en cours notamment pour le matériel roulant (un coût de 350 millions d'euros, NDLR)" explique à BFM Business, Alain Gétraud, directeur général de LeTrain.

Surtout, "aujourd'hui, on pourrait se lancer si on avait le matériel d'occasion que nous souhaitons" lance-t-il.

Manque d'impulsion politique

Problème, le modèle vertueux choisi par l'opérateur en investissant sur du matériel de seconde main, des rames de TGV réformées, ne trouverait pas vraiment écho du côté de la SNCF Voyageurs qui possède ce matériel.

"La balle n'est plus dans notre camp. Et ça n'avance toujours pas avec la SNCF. On nous a proposé du matériel qui ne correspond pas à nos attentes, on n'y est pas" se désole le dirigeant.

Alain Gétraud regrette par ailleurs la passivité des pouvoirs publics sur cette question d'ouverture à la concurrence. "Le régulateur connaît le sujet mais il n'a pas de moyens coercitifs, il faudrait une impulsion politique forte. Il faut que ça avance, on ne peut plus se permettre d'attendre la SNCF". D'autant plus que l'entreprise multiplie les appels pour la planète et l'usage du train tout comme le gouvernement d'ailleurs.

L'opérateur historique fait-il de la résistance, protège-t-il bec et ongles son pré carré?

Interrogée par BFM Business, la société nationale réfute toute mauvaise volonté de sa part. "Ce n'est pas le choix de SNCF Voyageurs mais bien la réglementation européenne (n°1907/2006 REACH) qui nous interdit toute vente ou cession de matériel du type recherché. Cette interdiction a été formellement confirmée par les services de l’Etat" explique un porte-parole.

Cette réglementation est relative à la présence de substances chimiques et à sa détection dans les produits vendus dans l'UE et a donné lieu à un arrêté en 2019 sur le repérage de l'amiante avant certaines opérations dans les matériels roulants ferroviaires. Or, certaines rames TGV réformées contiennent cette substance cancérigène.

SNCF Voyageurs se retranche derrière un réglement européen

"LeTrain est parfaitement informé de cette impossibilité juridique et n’a d’ailleurs jamais été en mesure, malgré nos demandes, de produire une analyse juridique contestant cette impossibilité réglementaire de leur céder notre matériel" poursuit-il.

"Nous connaissons la règlementation et ne pouvons que regretter que SNCF Voyageurs ne puisse pas alimenter un vrai marché de l’occasion avec son matériel réformé pour nous permettre d’aller plus vite dans la mise en service" répond de son côté LeTrain.

La nouvelle compagnie doit donc changer ses plans. "On peut monter des partenariats avec d'autres acteurs européens du rail. Et nous avons préfiguré une commande de matériel neuf à un constructeur européen, nous ferons des annonces début 2023" explique Alain Gétraud.

Reste que que le choix du neuf est en contradiction avec la philosophie écoresponsable du futur opérateur. Il est bien sûr plus coûteux, plus carboné et ne permet pas d'aller vite. "La livraison n'est pas attendue avant 24 à 36 mois" regrette-t-il. D'où le report du lancement à 2025, 2024 au mieux si LeTrain parvient enfin à mettre la main sur du matériel d'occasion.

Alain Gétraud qui a fait toute sa carrière dans le rail ne s'attendait peut-être pas à tant de blocages. "Ca manque d'impulsion à tous les niveaux", répète-t-il. "C'est dommage car c'est faisable très vite, pour la décarbonation, pour la proximité, pour le report modal, à un moment il faut y aller, pas dans 10 ans"...

Concurrence dans le rail: des bénéfices très concrets
Le bénéfice de la concurrence est une évidence pour tous les acteurs et les observateurs. Même pour la SNCF. Elle permet de faire grossir la part du train dans les déplacements ,le gâteau à se partager. Et de faire baisser les prix.

En France, selon une étude de Trainline, tous les opérateurs ont connu une augmentation de vente de billets entre fin décembre 2021 (arrivée de Trenitalia) et fin août: +18% pour les TGV, +57% pour OUIGO et surtout +176% pour Trenitalia. Trainline constate ainsi une augmentation moyenne totale de 58% sur la ligne Paris-Lyon, "montrant que tout le monde est gagnant dans un marché concurrentiel".

Côté tarifs, la plateforme d'achats de billets souligne que le prix moyen d’un trajet Paris-Lyon, tous trains confondus (TGV, OUIGO, Frecciarossa/Trenitalia) est passé de 45 euros en moyenne à 42 euros depuis l'ouverture à la concurrence, soit une baisse d’environ 7%.

En Espagne, la concurrence a permis d'augmenter le trafic ferroviaire de 13,7% en un an, et de 37% pour les seules lignes TGV, selon le régulateur dans un pays où la voiture règne en maître.

En Italie, précurseur de l'ouverture à la concurrence intervenue en 2006, le marché du TGV a doublé dans les 10 dernières années et les prix ont baissé de 41%.

Sans oublier l'amélioration de la qualité de service chez tous les opérateurs historiques confrontés à la concurrence de nouveaux acteurs...

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business