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Taxes, décarbonation…, pourquoi vos billets d'avion vont coûter encore plus cher dans les prochaines années

Les prix des vols depuis la France connaissent depuis plus d'un an une inflation à deux chiffres. Et ce n'est pas terminé. De quoi atteindre un seuil psychologique qui fera renoncer à l'aérien?

C'est une inflation jamais vue. En avril dernier, les tarifs des billets d'avion ont encore augmenté de plus de 20% sur un an, une flambée qui a débuté en 2022 avec l'inflation sur le pétrole, et donc le kérosène, due à la guerre en Ukraine. Rien ne semble pour le moment stopper cette dynamique également alimentée par la dépréciation de l'euro face au dollar.

"Les tarifs aériens sont désormais significativement supérieurs à ceux constatés pré-crise COVID et de l’ordre de 10% supérieurs à ce qu’ils étaient en 2017", confirme Pascal de Izaguirre, président de la FNAM, la Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers.

Pire, cette dynamique pourrait encore être accentuée dans les prochains mois et années. En voici les raisons.

Le coût de la décarbonation se fait sentir

On le sait, les ambitions de décarbonation du secteur, qui représente 2 à 3% des émissions de CO2 dans le monde, sont élevées. Il s'agit de parvenir à la neutralité carbone en 2050 à travers deux principaux leviers que sont le renouvellement des flottes et l'utilisation massive de carburants dits propres ou durables, les SAF (Sustainable Aviation Fuels).

De plus en plus d'acteurs de l'aérien estiment aujourd'hui que ce délai ne sera pas tenu. Mais une chose est sûre, ils ont conscience du coût global de cette transformation. Au niveau européen, la facture pourrait s'élever à 800 milliards d'euros, selon une étude allemande réalisée par YouGov.

Pour la France, "le surcoût de la transition écologique du secteur aérien pour le pavillon français (hors investissement flotte) est estimé à 1 milliard d’euros en 2025 et près de 3 milliards d’euros à l’horizon 2030", précise le président de la Fnam.

Renouveler la flotte: 1 milliard d'euros par an pour Air France

Les appareils de nouvelle génération apportent clairement un gain en matière d'émissions carbone avec une baisse de -20 à -25% par rapport à la génération précédente.

Les grandes compagnies multiplient actuellement les méga-commandes mais cela a un coût très important, un coût qui sera d'une façon ou d'une autre répercuté sur le prix des billets.

"Pour Air France, c'est un investissement d'un milliard d'euros par an", révèle Anne Rigail, directrice générale de la compagnie, lors du congrès annuel de la Fnam.

Les carburants propres, une priorité à prix d'or

C'est le levier le plus rapide à mettre en place puisque les avions actuels peuvent embarquer jusqu'à 50% de SAF (ce qui permet en théorie de réduire de 80% les émissions).

Problème, ces carburants sont encore très chers: 30% de plus que le kérosène, notamment car la filière française et européenne est peu organisée et non massifiée. "Le game changer, ce sont les SAF, à condition que les prix ne nous mettent pas à genoux", assène Anne Rigail.

Pour autant, Air France a pour objectif d'embarquer 10% de SAF dans ses avions en 2030 contre 1% aujourd'hui, un seuil supérieur à ce qu'exige l'Union européenne. Mais cela aura un prix.

"1% de SAF, c'est 100 millions d'euros pour la compagnie, 10%, c'est 1 milliard d'euros. Sur un Paris-New York à 20% de SAF, le billet augmentera de 175 euros. Ça ne passera pas inaperçu", estime Anne Rigail.

Il faut rappeler que les SAF, très subventionnés aux États-Unis, sont vendus 20.000 euros la tonne contre 50.000 en France. Pour que l'équation soit tenable, les acteurs de l'aérien réclament que les pouvoirs publics prennent les choses en main.

"Notre dispositif n'est pas assez incitatif. Soit c'est le contribuable, soit c'est le client qui paiera", explique Damien Cazé, directeur général de la DGAC, la direction de l'aviation civile.

"On essaye de donner des signaux aux producteurs", ajoute la dirigeante d'Air France. Reste que la compagnie doit aujourd'hui massivement importer ces carburants propres. "Mais on pense qu'on aura du mal à répondre à nos ambitions tout comme nos concurrents européens. Il faut de vraies politiques publiques pour développer la filière, d'autant plus que tout le monde est aligné sur cette priorité et cette technologie", regrette-t-elle.

Toujours plus de taxes

Un billet d'avion émis en France est fortement taxé. On peut citer diverses redevances ainsi que les 200 millions d'euros par an générés par l’éco-contribution mise en œuvre en 2020 (dite "taxe Chirac").

Et pour financer le plan rail à 100 milliards d'euros, "une contribution sur les billets de première classe et de classe affaires" a clairement été évoquée par le gouvernement.

Les associations écologiques plaident également sur une taxation du kérosène qui échappe pour le moment à toute ponction.

Evidemment, cette perspective est plutôt mal accueillie. "Notre demande à l’égard des pouvoirs publics est claire. La FNAM est attachée à un cadre réglementaire, fiscal et d’exploitation stabilisé permettant au secteur aérien de sécuriser les moyens financiers nécessaires à sa décarbonation", souligne Pascal de Izaguirre qui évoque également la question de l'égalité concurrentielle face aux compagnies non-européennes.

L'avion va-t-il être réservé à une élite?

C'est finalement un certain modèle économique qui est aujourd'hui remis en cause par les impératifs de la décarbonation et l'évolution du cadre fiscal. Le risque, ne plus pouvoir faire voler les classes moyennes, effrayées par des prix trop élevés qui vont au-delà d'un certain seuil psychologique.

"Il faut être clair, la décarbonation va entrainer une augmentation des prix des billets d'avion, estime Pascal de Izaguirre, et il ne faut pas se faire d'illusions, ça va faire baisser la demande".

"Le transport aérien doit continuer à profiter au plus grand nombre", poursuit le président de la fédération qui est également patron de la compagnie Corsair. "Revenir à une élite c'est aller vers l'affaiblissement de notre industrie."

Pourtant, pour certains spécialistes, c'est bien la décroissance du trafic qui permettra d'amplifier la décarbonation du secteur.

Une perspective qui horrifie Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde: "La décroissance, ce n’est pas humain. C’est comme le communisme. C’est magnifique mais cela n’a jamais marché. Les gens de Chine, du Sri Lanka ou de New York ne voudront jamais. On peut la décréter mais cela n’arrivera jamais".

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business