BFM Business
Assurance Banque

La nouvelle taxe espagnole sur les superprofits des banques sera-t-elle copiée par d’autres pays?

La banque espagnole Santander fait partie des banques visées en Espagne par cette taxe exceptionnelle.

La banque espagnole Santander fait partie des banques visées en Espagne par cette taxe exceptionnelle. - Leon Neal - AFP

[AVIS D'EXPERT] Le gouvernement espagnol veut appliquer une taxe exceptionnelle pour les plus grandes banques du pays. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

Dans un avis non-contraignant publié le 2 novembre dernier, la Banque centrale européenne (BCE) a manifesté son inquiétude face aux conséquences de la taxe bancaire exceptionnelle que le gouvernement espagnol est décidé à appliquer aux plus importantes banques du pays.

Temporaire, cette taxe de 4,8% doit, à partir de janvier prochain et pour deux années, frapper le Produit net bancaire (PNB) - soit les revenus nets d’intérêts et de commissions - des banques dont le chiffre d'affaires dépasse 800 millions d'euros. Or, dans l’incertain contexte économique actuel, la BCE s’inquiète des risques que cette taxe pourrait créer pour "la stabilité financière, la résilience du secteur bancaire et l’octroi de crédit".

Cependant, le gouvernement espagnol est bien décidé à ne pas reculer. "Ce gouvernement ne va pas tolérer qu'il y ait des entreprises qui profitent de la crise pour s'enrichir", a assuré le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez. "On parle souvent des bénéfices tombés du ciel, expliquait auparavant ce dernier à la Chambre des députés. Mais ça ne se passe pas comme ça. Les superbénéfices ne tombent pas du ciel. Ils tombent de la poche des consommateurs qui paient leurs factures! Nous allons mettre en place un impôt sur les bénéfices extraordinaires des grandes entreprises énergétiques! Et je vous annonce aussi, Mesdames et Messieurs les députés, que le gouvernement approuvera un impôt exceptionnel et provisoire sur les établissements financiers qui commencent à tirer profit des hausses des taux d’intérêts."

Depuis, le gouvernement espagnol a annoncé qu’il n’écartait pas la possibilité de rendre ce nouvel impôt permanent. Cette mesure est donc à ranger parmi celles qui, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Italie notamment, entendent frapper les entreprises qui tirent parti de l’inflation ou de la hausse des taux. Pour financer ses propres mesures de soutien au pouvoir d’achat, l’exécutif espagnol attend 4 milliards d’euros de la taxation sur les bénéfices exceptionnels des compagnies d'énergie, ainsi que 3 milliards d’euros supplémentaires en 2023 et 2024 du secteur bancaire.

Une taxe même pour ceux qui perdent de l'argent

Sauf que la nouvelle taxe ne frappera pas les bénéfices mais le PNB, qui est l’équivalent du chiffre d’affaires pour les banques. La BCE le souligne: la taxe pourra être prélevée sur des établissements même s’ils sont déficitaires. Or une taxe appliquée sur l’activité même des entreprises, sur leur chiffre d’affaires ou leur marge brute, sans tenir compte de leurs bénéfices réels s’expose à être fortement contre-productive.

Selon les analystes, la taxe pourrait avoir un impact de 10 à 15% sur les bénéfices des banques dans leur ensemble et de 3 à 4% sur ceux de Santander et BBVA, les deux plus importantes. Mais cela, toutes choses égales par ailleurs car, pour défendre leurs marges, les banques seront poussées à accroître le coût des crédits, aussi bien qu’à moins relever la rémunération des dépôts malgré la hausse des taux (les banques espagnoles sont bien pourvues en liquidités). De sorte que ce sont les Espagnols qui supporteront le nouvel impôt, d’autant plus rapidement qu’en Espagne la majorité des crédits sont à taux variable.

En ne taxant que les plus grands établissements, le gouvernement a voulu éviter ce double effet, puisque cela exposerait les banques tentées d’agir ainsi à la concurrence des banques et néobanques de moindre taille qu’elles. Toutefois, une telle distorsion de concurrence a ses limites et le gouvernement a notamment été obligé d’étendre sa mesure aux banques étrangères exerçant en Espagne.

Un signal à l'électorat

Naïveté? L’exécutif espagnol a-t-il surtout agi par clientélisme électoral, sans trop mesurer les conséquences possibles de ses mesures? C’est ce qu’invite à croire l’avis de la BCE. Mais il est possible de voir les choses autrement.

En fait, la nouvelle taxe espagnole paraît assez habile. S’en prendre aux banques est toujours populaire et, à cet égard, le gouvernement espagnol envoie un signal assez fort à son électorat. Sauf qu’en frappant le PNB et non les bénéfices, la taxe, comme toute taxe sur la consommation ou la valeur ajoutée, risque d’être en fait directement payée par les consommateurs.

N’est-ce pas au fond l’effet recherché? En poussant directement à un resserrement du crédit, en accroissant l’impact de la hausse actuelle des taux sur l’activité économique, la taxe est en fait une mesure anti-inflationniste qui ne dit pas son nom. Tandis qu’en s’appliquant directement aux marges nettes d’intérêt des banques, la taxe offrira un rendement d’autant plus fort que la hausse des taux sera plus importante. Un dispositif assez judicieux somme toute, qui pourrait donc bien être copié par d’autres pays.

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor