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Guerre en Ukraine: malgré les sanctions, que vend encore la Russie et à quels pays?

Touché par plusieurs trains de sanctions en réponse à l'invasion de l'Ukraine, Moscou a vu la plupart de ses exportations vers les pays européens chuter mais est parvenue à trouver d'autres relais de croissance pour certains produits.

Les pays occidentaux n'en ont pas fini d'obstruer les échanges commerciaux de la Russie. En marge des discussions du G7 qui s'est achevé dimanche au Japon, le Royaume-Uni et l'Union européenne ont ainsi annoncé des restrictions à leurs importations de diamants russes, qui rapportent chaque année plusieurs milliards de dollars à Moscou.

Depuis le 24 février et le début de l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe, plusieurs volets de sanctions ont été adoptés par certains clients majeurs de la Russie afin de l'empêcher de s'en servir comme ressources pour financer ses opérations militaires.

Près de quinze mois plus tard, la guerre en Ukraine est pourtant toujours d'actualité, tandis que les sanctions semblent avoir des conséquences encore relativement contenues sur l'économie russe, dont le PIB ne s'est contracté "que" d'à peine 2% au premier trimestre, d'après Rosstat. BFM Business fait le point sur ce que vend encore la Russie et quels sont les nouveaux clients principaux du pays.

Le pétrole brut réorienté en masse vers l'Asie

C'est l'une des sanctions de grande envergure prise à l'encontre de la Russie: l'embargo sur son pétrole brut transporté par la mer et le mécanisme de plafonnement des prix du G7 à 60 dollars le baril, qui sont entrés en vigueur le 5 décembre dernier. Une date tardive qui a permis à Moscou d'exporter pour 142 milliards de dollars de brut sur l'année 2022, avec une hausse des recettes de 19 milliards de dollars entre mars et décembre 2022 par rapport à la même période en 2021 selon les données du Centre de recherches en politique économique (CEPR).

Le Centre met ainsi en avant des niveaux de prix de marché particulièrement élevés et soutenus. "La Russie a été en mesure de réorienter le pétrole brut vers d'autres marchés, notamment la Chine, qui a continué à en acheter de grandes quantités, et l'Inde, qui est apparue comme la nouvelle destination la plus importante", explique le think-tank.

"Ces deux pays, ainsi que la Turquie, ont remplacé l'UE en tant que principal acheteur de pétrole brut russe, et représentaient les deux tiers des exportations russes au quatrième trimestre 2022 contre moins d'un tiers au premier trimestre."

En revanche, la Russie a quand même dû consentir à une importante décote de son pétrole brut pendant une grande partie de l'année 2022 de manière à soutenir ces volumes, ce qui a réduit de plus de 30 milliards de dollars ses recettes d'exportations par rapport à une pratique d'un prix proche du marché. "Au cours de la période post-embargo, les acheteurs indiens ont payé environ 17 dollars par baril de moins que les Européens pour les cargaisons de brut de la mer Baltique", indique ainsi le CEPR.

Des sanctions à renforcer?

Les sanctions contre le brut russe ont été suivies deux mois plus tard par un embargo ciblant cette fois les exportations de produits pétroliers, dont le pays est parvenu à tirer 83 milliards de dollars en 2022, avec une hausse de 16 milliards d'euros entre mars et décembre 2022 par rapport à la même période en 2021. "Les volumes de produits pétroliers ont diminué en raison de la réduction des achats des pays du G7, en l'absence de ventes supplémentaires significatives à d'autres marchés", observe toutefois le CEPR.

Cette évolution est due à une réorientation différente des exportations en répercussion de l'embargo. "Les pays qui représentent aujourd'hui une part dominante des exportations de pétrole brut russe, tels que la Chine, l'Inde et la Turquie, jouent un rôle beaucoup moins important en ce qui concerne les produits pétroliers, car ils disposent tous de leurs propres secteurs de raffinage développés, indique le think-tank. En fait, il semble que les pays qui ont interdit les produits pétroliers russes acquièrent de plus en plus ces biens par l'intermédiaire de pays comme l'Inde et la Turquie, qui ont augmenté leurs importations de pétrole brut russe à cette fin.

"Cela ne signifie pas que les sanctions sont contournées, car elles suppriment effectivement les bénéfices de l'industrie du raffinage russe et peuvent entraîner des réductions douloureuses des activités de raffinage."

Le Centre de recherches en politique économique estime que les pays européens auraient pu faire bien plus mal au portefeuille russe en instaurant l'embargo dès le début de l'invasion de l'Ukraine, ce qui aurait amputé les recettes d'exportation de brut russe de 46 milliards de dollars.

Constatant qu'une partie importante de ce brut russe est encore aujourd'hui vendue à un prix supérieur au plafond de 60 dollars le baril, le CEPR préconise de baisser ce plafond à 35 dollars afin qu'il devienne inférieur aux coûts de production et incite Moscou à réduire ses volumes. Il propose également d'adopter "une approche tout aussi aggressive" vis-à-vis des produits pétroliers.

Forte baisse des exportations de gaz

En 2022, près de deux tiers des 333 milliards de dollars de biens russes exportés correspondaient aux ventes de pétrole et de gaz et, selon le CEPR, 108 milliards sont imputables au gaz naturel. "La flambée des prix a plus que compensé les fortes baisses de volumes dues à la décision de la Russie de réduire ses livraisons à l'Europe au second semestre 2022, souligne le think-tank. Les chiffres de l'année entière masquent le fait que l'environnement extérieur s'est rapidement dégradé à la fin de 2022 et qu'il devrait encore s'aggraver en 2023."

Près d'un an après le début de la guerre en Ukraine, le vice-Premier ministre russe en charge de l'Energie déclarait que les exportations de gaz russe s'étaient écroulées de 25,1% en 2022.

Alexandre Novak évoquait notamment le "refus des pays européens d'acheter du gaz russe" et le "sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2" mais se réjouissait "de voir le potentiel de croissance de l'approvisionnement en gaz de la région Asie-Pacifique".

Pour illustrer ce "transfert de clientèle", les livraisons de gaz vers la Chine via le gazoduc "Force de Sibérie" dans l'Extrême-Orient russe "ont augmenté de 48% et ont atteint un maximum historique de 15,4 milliards de m3" l'année dernière.

Par ailleurs, les pays européens continuent d'acheter en moindre quantité du gaz naturel liquéfié (GNL), issu des nombreuses réserves russes et transporté par voie maritime sur des méthaniers. Les exportations de GNL russe dans le monde entier ont quant à elle augmenté de près de 8% l'an dernier, à 45,7 milliards de mètres cubes.

La Russie peut toujours compter sur le nickel

Si les hydrocarbures constituent les principales exportations russes, elles ont chuté en janvier 2023 de 38% par rapport à janvier 2022 d'après les données de l'Agence internationale de l'énergie. Le charbon constituait une autre matière première que Moscou exportait en grandes quantités vers les pays européens, qui n'ont pas tardé à mettre en place un boycott pour préférer en importer d'Afrique du Sud, du Colombie ou encore du Kazakhstan.

Pour combler ces pertes, la Russie mise davantage sur le marché intérieur mais peut aussi compter sur les exportations d'autres biens, notamment dans le domaine des matières premières. Sur ce terrain, le nickel est l'un des rares minerais à voir ses importations vers les pays européens augmenter: une aubaine alors que son prix a explosé l'année dernière.

Et pour cause, la Russie figure parmi les principaux producteurs au monde et l'Union européenne pouvait moins exploiter la filière indonésienne pour importer ce minerai essentiel aux batteries pour véhicules électriques. Entre mars et juin 2022, les pays européens ont augmenté leurs importations de nickel russe de 22% par rapport à la même période en 2021, les États-Unis de 70%.

Dès le mois de mars, l'acier russe a en revanche été visé par un train de sanctions de l'Union européenne, qui s'est tournée en grande partie vers les producteurs chinois, idem pour le fer.

Tout le contraire de l'aluminium russe dont les pays européens ont augmenté les importations de 13% entre mars et juin 2022 par rapport à la même période en 2021. Outre-Atlantique, cette hausse a même atteint 21% mais Washington a récemment augmenté les droits d'entrée du matériau.

Comme pour son pétrole brut, la Russie peut également s'appuyer sur la Chine pour continuer d'exporter son cuivre. D'après des statistiques des douanes chinoises, Pékin a importé de Russie du cuivre et des alliages de cuivre pour une valeur de 852 millions de dollars entre octobre et février derniers.

De nouveaux relais de croissance pour le bois

En février dernier, l'Union européenne s'est également attaquée aux produits chimiques qu'exporte la Russie en interdisant notamment les importations de bitume, d'asphalte et de caoutchouc russes qui représentent 1,3 milliard d'euros par an.

Toujours au rayon des produits chimiques, l'Union européenne n'est pas encore parvenue à se passer des engrais russes, qu'il s'agisse d'azote ou de potasse, même si d'autres fournisseurs sont désormais considérés comme l'Algérie, l'Égypte, le Qatar, ou encore Trinité-et-Tobago.

Avec le récent onzième paquet de sanctions adopté, l'Union européenne interdit désormais près de deux tiers des importations russes d'avant-guerre. De leur côté, les États-Unis ont instauré en début d'année des droits de douanes supplémentaires sur certains produits chimiques et métalliques russes dont les exportations se chiffrent à 2,8 milliards de dollars.

En avril 2022, l'embargo européen sur les bois bruts, les bois rabotés et les produits dérivés figuraient parmi les premières sanctions majeures prises à l'encontre de Moscou. Cet embargo a fait chuter les exportations de bois russe de plus de 20% en raison de pays qui ont drastiquement réduit leurs importations, à l'image de l'Estonie, l'un des principaux clients de la Russie en la matière, qui a divisé ses achats par deux.

Mais là aussi le pays de Vladimir Poutine a pu compter sur l'émergence d'un nouveau carnet de commandes avec l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient qui ont augmenté leurs importations de bois de 18% entre 2021 et 2022 tandis que la Chine reçoit toujours la moitié des exportations russes.

Et les produits alimentaires?

Si les chiffres des exportations de blé russe restent flous et basés sur des estimations, le pays a profité d'une météo particulièrement favorable pour réaliser d'excellentes récoltes depuis le début de la guerre en Ukraine.

Sur l'exercice 2022-2023, les ventes globales de céréales de la Russie devraient osciller entre 53 et 54 millions de tonnes, soit 20 millions de tonnes de plus sur un an, et auraient même pu dépasser les 60 millions de tonnes sans les restrictions liées aux sanctions. Moscou conserve en effet de nombreux clients fidèles comme l'Arabie saoudite, l'Algérie, le Pakistan, le Brésil, la Turquie, le Mexique mais aussi la Chine qui a plus que quadruplé ses achats en moins d'une décennie.

Enfin, la Russie bénéficie toujours de la proximité des anciens pays du bloc soviétique pour exporter sa viande de porc alors que des problèmes logistiques pénalisent les exportations vers plusieurs clients asiatiques comme le Vietnam ou Hong-Kong. D'après les chiffres de l’Union russe des producteurs de porc, Moscou a exporté environ 170.000 tonnes de viande de porc l'année dernière contre 210.000 tonnes en 2021.

Timothée Talbi