(BFM Bourse) - Exprimé en dollar le cours de la relique barbare se replie de 4% depuis le début de l'année, une baisse certes moindre que les marchés actions mais qui met à mal le statut de valeur refuge du métal précieux. La vigueur du dollar et la remontée des taux d’intérêts sont à l’origine de cette performance peu dynamique.
Le métal si précieux ne brille guère par ses performances. Censé constituer un bouclier contre les tumultes du marché, l’or connaît une évolution boursière sans relief.
Exprimé en dollar, l’once perd 4,3% (*) depuis le début de l’année, soit un repli inférieur, il est vrai, à ceux des grands indices boursiers. Sur la même période le S&P 500 de Wall Street abandonne 15% et notre CAC 40 national chute de 6%.
Reste que la variation n’a guère l’allure de celle d’une valeur refuge. Dans une note récente, UBS convenait que le métal précieux avait "surperformé" les actifs risqués. "Mais en tant que couverture contre une volatilité financière accrue, il a déçu", pointait la banque suisse.
"L’or n’est pas considéré comme un rempart contre l’inflation, d’autres produits sont plus opérants comme certaines matières premières (cuivre, nickel, cobalt) dont celles qui peuvent être liées à la transition énergétique ou encore l’immobilier", souligne de son côté Christopher Dembik, directeur de la recherche macroéconomique chez Saxo Banque.
Une "relique barbare" sans rendement
Le parcours du métal précieux a, en réalité, subi des à-coups. "Les cours de l’or ont d’abord connu un premier trimestre positif, durant lequel ils ont quasiment égalé leur record de l’été 2020 en réaction à l’invasion de l’Ukraine", souligne Arnaud du Plessis, gérant de portefeuilles actions thématiques spécialiste de l’or et des ressources naturelles chez CPR Asset Management.
"Ils ont ensuite subi un important mouvement de consolidation jusqu’à la fin de l’été, passant de 2.070 dollars [l’once, NDLR] à 1.615 dollars environ, en lien avec le fort resserrement monétaire de la Fed qui a entraîné une remontée des taux d’intérêt réels américains. Depuis la fin septembre, le marché s’est stabilisé et a même entamé un rebond à partir de début novembre", ajoute-t-il.
"Plus que l’inflation, c’est l’évolution des taux d’intérêt réels qui a influencé le parcours de l’or cette année. Or, la hausse significative des taux réels américains qui a été observée cette année, couplée à une grande vigueur du dollar (auquel, historiquement, l’or est inversement corrélé), aurait pu peser bien davantage sur les cours. L’or a donc fait montre d’une résistance assez forte", nuance par ailleurs le gérant. Le spécialiste souligne que, libellé en euro, et non plus en dollar, l’or évolue en territoire positif d’environ 5%.
La hausse des taux d’intérêt pénalise en effet le métal précieux - que John Maynard Keynes surnommait la "relique barbare" - car l’or ne produit pas de revenu, comme des dividendes ou des coupons. L’augmentation des taux malmène ainsi l’arbitrage qui consiste à investir dans l’or plutôt que de placer la trésorerie et donc toucher les intérêts.
"Les investisseurs se posent la question de savoir si l’or est toujours aussi intéressant dans un portefeuille puisque l’or n’a pas de rendement", expliquait à ce titre Benjamin Louvet, gérant matières premières chez OFI AM, au début du mois sur BFM Business.
Le renchérissement du dollar, lui, pèse sur l'or car il rend la matière première plus onéreuse pour les acquéreurs dont les opérations s'effectuent dans une autre monnaie. Un effet qui joue également sur d'autres actifs, comme le pétrole.
Stagflation
Pour la suite, UBS s’attend à ce que l’or se retrouve encore sous pression au premier semestre 2023, avant un rebond "modeste" d’ici à la fin de l’année prochaine.
Mais d’autres intermédiaires financiers ne partagent pas totalement cet avis. La société de services financiers Atlantic Financial Group estime que l’or, en 2023, "s'appréciera, après avoir souffert de la rémunération positive du cash et de la vigueur du dollar".
Arnaud du Plessis souligne de son côté que le marché prend acte de plusieurs éléments. "D’abord, l’arrêt prochain du cycle de hausse des taux directeurs de la Federal Reserve, le marché estimant entre 100 à 125 points de base (1 à 1,25 point de pourcentage, NDLR) la remontée restante pour atteindre le taux pivot", avance-t-il.
"Ensuite, le marché anticipe une dégradation de la conjoncture en 2023, caractérisée d’une part par un risque de récession économique et d’autre part par un taux d’inflation qui, s’il cesse d’augmenter, se maintiendra sans doute au-dessus des 2% ciblés par les banques centrales", poursuit le gérant.
"Un tel contexte de ‘stagflation’ serait particulièrement propice à un rebond des cours de l’or. Enfin, les banques centrales ont acheté de l’or à un rythme très soutenu au cours du troisième trimestre, ce qui constitue un facteur de soutien supplémentaire", estime-t-il.
Record d’achats des banques centrales
Au troisième trimestre les banques centrales ont acquis pour près de 400 tonnes d’or, gold.org/news-and-events/press-releases/world-gold-council-report-climate-change-adaptation-and-resilience">d'après le World Gold Council. Selon le Comptoir national de l’or, sur neuf mois ces achats s’inscrivent en cumulé à 673 tonnes.
"Le précédent record trimestriel était de 240 tonnes. Et sur neuf mois on a déjà battu le record annuel qui datait de 2018 pour l’ère moderne. En 1967 on avait eu 1.400 tonnes d’or sur un an mais à cette époque-là les accords de Bretton Woods étaient encore en place et les monnaies étaient amarrées sur le cours de l’or", explique Benjamin Louvet.
Pourquoi les institutions monétaires s’intéressent tant à ce métal précieux? L’explication principale "réside dans la volonté de la part de ces pays de s’affranchir du dollar et du fait que celui-ci puisse être utilisé comme arme économique", indique Le Comptoir national de l’or.
"En la matière, les sanctions contre la Russie et la saisie d’avoirs en dollars de la banque centrale russe ont accéléré la volonté de diversifier leurs réserves chez de nombreux pays émergents. Et l’or, qui est à la fois universel et contrôlé par personne, est le candidat naturel", conclut-il.
(*)Variations arrêtées à vendredi en début d'après-midi. L'évolution de l'or est basée sur le contrat de décembre