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Limitation des écrans: pourquoi les recommandations des experts sont difficiles à mettre en place

Le groupe d'experts mandaté par Emmanuel Macron pour interroger la place des écrans chez les jeunes rend ses conclusions ce mardi 30 avril. Mais entre la liberté des parents et la barrière juridique, les recommandations semblent difficiles à mettre en place.

"Reprendre le contrôle" sur les écrans, notamment pour les plus jeunes. C'est l'ambition d'Emmanuel Macron, qui a critiqué l'effet des smartphones et tablettes sur les enfants, lors de sa conférence de presse en janvier dernier. Depuis, le président de la République a mandaté un groupe d'experts pour interroger la place des écrans chez les jeunes qui rend ses conclusions ce mardi 30 avril.

Dans ce rapport, révélé lundi soir par plusieurs quotidiens régionaux, la commission d'experts préconise d'interdire l'usage des écrans aux enfants de moins de trois ans et de téléphones portables au moins de 11 ans, en limitant strictement l'accès les années suivantes pour les adolescents.

Dans le détail, la commission préconise notamment de n'autoriser le téléphone portable qu'à partir de 11 ans, et un téléphone sans internet jusqu'à 13 ans.

A partir de 13 ans, le rapport propose de donner un smartphone sans accès aux réseaux sociaux, puis d'ouvrir cet accès à partir de 15 ans, uniquement sur des réseaux "éthiques". Pour Instagram, Tiktok ou encore Snapchat, il faudra donc visiblement attendre 18 ans.

Le groupe d'experts appelle également à lutter contre les "services prédateurs" des acteurs, comme le "fil de déroulement infini" ou le "lancement automatique de vidéos".

La commission alerte sur "la réalité de l'hyper connexion subie des enfants" et "les conséquences pour leur santé, leur développement, leur avenir", mais aussi pour l'avenir "de notre société, notre civilisation".

Responsabilité individuelle des parents

Malgré la volonté affichée du gouvernement, dans les faits, ces annonces sont difficiles à mettre en place car la plupart de ces recommandations relèvent davantage de la responsabilité des parents et donc, de la sphère privée.

Et, malgré les lois, le gouvernement peine à imposer sa volonté aux parents. La preuve, en France, les réseaux sociaux sont depuis longtemps interdits au moins de 13 ans. Pourtant, 67% des 8-10 ans sont déjà présents sur les réseaux sociaux selon une étude d'octobre 2023 de l'association e-enfance 3018 et Caisse d'Epargne.

"C'est une sorte de guide", tempère Amine Benyamina, co-président de la commission écrans au micro de RTL. "On ne mettra pas un policier devant chaque foyer. Le président ne pourra pas venir légiférer dans les foyers."

Des outils de limitation du temps d'écran pour les mineurs sont également disponibles sur certaines applications ou téléphones, et sont d'ailleurs listés sur un site du gouvernement. Mais là encore, leur efficacité dépend du choix, ou non, des parents d'utiliser ces outils de contrôle parental.

Les dispositifs de vérification d'âge posent également question du côté de la Cnil. La gardienne de la vie privée des Français s'inquiète notamment du respect de la vie privée des utilisateurs. L'organisme estime par exemple que le recours aux pièces d’identité est "peu respectueux des données personnelles", mais aussi "peu fiable" à cause du risque d’usurpation d’identité.

Des limites juridiques

Une solution pourrait être de contraindre directement les plateformes numériques. L'an dernier, le gouvernement a notamment adopté une loi obligeant les réseaux sociaux à vérifier l’âge de leurs utilisateurs et à recueillir le consentement de leurs parents quand ils ont moins de 15 ans. Mais le décret d'application n'a pas encore été publié.

En effet, la France ne peut pas imposer ses règles sans l'aval de la Commission Européenne. Comme le rappelait la Cour de Justice de l'Union européenne en novembre 2023, un membre de l'UE ne peut venir réguler un acteur installé dans un autre pays membre de l'UE, sans en référer à cet Etat ou à la Commission européenne.

Un accord de la part de la Commission européenne qui semble difficile à obtenir en l'état. Thierry Breton a exprimé à plusieurs reprises son désaccord avec toutes les principales mesures liées aux grandes plateformes portées par la France comme la loi sur la majorité numérique à 15 ans, ainsi que la réglementation sur les influenceurs.

Dans les faits, la France ne pourrait ainsi réguler que des plateformes installées en France ou n'ayant pas de siège social dans l'Union européenne. Difficile dans ce contexte de contraindre des entreprises comme Tiktok à modifier son algorithme et son fil de déroulement, ou encore Apple qui gère le système d'exploitation IOS et donc les outils de contrôle parental.

Enfin, une question reste en suspens: qu'entend le gouvernement par réseau social "éthique"? Le rapport donne seulement deux exemples: Mastodon et Bluesky, deux alternatives à X qui fonctionnent sur un modèle décentralisé. Pour le reste, difficile de s'y retrouver. Aucun texte de loi ou rapport ne précise les contours de cette définition. Difficile de déterminer qui décide de ce qui est "éthique" ou non. Experts et politiques devront donc s'accorder dans les semaines ou mois à venir pour aider les parents à y voir plus clair.

Salomé Ferraris