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Guerre en Ukraine: TikTok abreuve les nouveaux utilisateurs de vidéos mensongères

L'application TikTok sur un smartphone.

L'application TikTok sur un smartphone. - Credit Pixabay

L'application souffre d'un problème de modération amenant beaucoup d'utilisateurs, pour la plupart très jeunes, à visionner des contenus trompeurs.

Le réseau social TikTok s'est démarqué depuis le début de la guerre en Ukraine. Sur cette application chinoise très populaire de courtes vidéos, on trouve des Ukrainiens montrant leur quotidien sous l'invasion russe, mais aussi une grande quantité de vidéos ayant trait à la désinformation.

Selon une enquête réalisée début mars par l'entreprise NewsGuard, spécialisée dans l'analyse de la désinformation en ligne, l'algorithme du réseau social a tendance à présenter aux nouveaux venus sur l'application des vidéos mensongères, en à peine quelques dizaines de minutes. Et ce sans que l'utilisateur ne renseigne le moindre élément sur ses intérêts.

La désinformation, générale mais aussi spécifique à la guerre en Ukraine n'est pas un fléau récent sur TikTok. C'est la conséquence, selon NewsGuard, d'un manque de modération du réseau social, lié à un algorithme très poussé.

Pour réaliser leur analyse, six membres de NewsGuard ont créé autant de nouveaux comptes sur l'application. Dans un premier temps, ils ont eu pour consigne de ne faire aucune recherche spécifique, mais de visionner en entier les vidéos liées au conflit, en parcourant le fil d'actualité pendant 45 minutes.

L'algorithme de TikTok fonctionne de manière à "enfermer les utilisateurs": lorsqu'une personne marque son intérêt en regardant entièrement des vidéos sur un sujet, le système - dont le but est de maintenir l'utilisateur le plus longtemps sur l'application pour afficher le plus de publicité possibe - va lui proposer de plus en plus de contenus liés, jusqu'à l'abreuver de contenus similaires.

Les spécialistes utilisent alors l'analogie de "terrier de lapin" pour montrer cet enfermement par les algoritmes de TikTok. Une version plus radicale des bulles de filtre décrites depuis de longues années sur les réseaux sociaux.

Des vidéos populaires, mais fausses

Après moins de 40 minutes de visionnage sur ces nouveaux comptes, les membres de NewsGuard ont constaté l'apparition de contenus mensongers et trompeurs.

Parmi ceux-ci, des vidéos mentionnant la présence en Ukraine de laboratoires américains destinés à la création d'armes chimiques. Une "fake news" alimentée par la Russie et devenue virale depuis le début de la guerre.

Problème, TikTok ne fournit aucun outil aux utilisateurs pour distinguer ces contenus des vidéos authentiques. Et, de surcroît, elles sont visionnées des dizaines de milliers de fois.

"Toutes les images de cette pseudo-guerre sont fausses. Il n'y a aucune vidéo venant de l'Ukraine [...] tout ce que vous voyez dans les médias est faux" explique ainsi un homme dans l'une de ces vidéos, qui comptait le 14 mars plus de 153.000 vues, selon le décompte de NewsGuard.

Parmi les exemples francophones, BFMTV a pu consulter une vidéo affirmant, entre autres, que le président ukrainien Zelensky avait "fui en Pologne" et serait apparu en état d'ébriété lors de ses dernières vidéos. Là encore, en s'inspirant directement des propos des autorités russes.

Cette séquence apparaît à la suite d'une recherche mentionnant simplement le mot "Donbass", le nom d'une région ukrainienne frontalière de la Russie, au coeur de nombreux conflits entre les deux parties.

A ce jour, la vidéo a été vue plus de 138.000 fois. Elle a été mise en ligne par un compte suivi par environ 47.000 personnes. Dans les commentaires, aucune mise en garde n'apparaît.

Des recherches analogues ont également été menées par les équipes de NewsGuard, avec des mots-clés tels que "Donbass", "Ukraine", "Guerre" ou encore "Russie". Des vidéos mensongères sont apparues systématiquement dans les vingt premiers résultats proposés par TikTok, dont certaines en deuxième position.

Aucun outil de distinction

Aucune distinction n'est opérée entre les vidéos mensongères et authentiques. Certains réseaux sociaux, à l'image de Twitter, ont sauté le pas en indiquant sur certains comptes leur affiliation à un média russe, par exemple. Or, les contenus liés à la guerre abondent.

"Alors que les récits faux sur le conflit Russie-Ukraine prolifèrent en ligne, aucune des vidéos auxquelles nos analystes ont été exposés par l’algorithme de TikTok ne contenaient d’informations sur la fiabilité de la source, de mise en garde, de fact-check, ou d’informations supplémentaires permettant aux utilisateurs de contextualiser ces vidéos", indique NewsGuard dans son rapport.

Bien que l'âge moyen des utilisateurs de TikTok augmente de plus en plus, le public reste majoritairement très jeune. L'application, qui a franchi le milliard d'utilisateurs à l'été 2021, est par ailleurs l'un des derniers canaux d'information dont disposent les utilisateurs russes, la majorité des réseaux sociaux étant désormais bannis du pays.

Si les utilisateurs russes ne peuvent plus créer et partager de vidéos sur TikTok, ils ont toutefois toujours accès au "fil d'actualité" de l'application.

Victoria Beurnez