Tech&Co
Gaming

A-t-on le droit d'utiliser un émulateur pour jouer aux anciennes consoles?

Le conflit qui a récemment opposé Nintendo et l'émulateur Yuzu a remis en lumière une zone d'ombre du jeu vidéo sur fond de piratage.

Jouer à la Switch, sans la Switch. C'était tout l'intérêt de Yuzu, un outil sans rapport avec Nintendo qui permet pourtant de faire tourner les derniers jeux de la console sur son ordinateur. Le mois dernier, cet "émulateur" très performant a fini par faire bondir le fabricant japonais: ce dernier a obtenu l'arrêt du développement du logiciel et une indemnisation record de 2,4 millions de dollars.

Une décision finalement rare dans le monde de l'émulation, qui semble naviguer depuis des décennies dans une zone grise de la légalité. Si les consoles actuelles permettent de jouer désormais à des jeux rétro, les émulateurs ont longtemps faire le bonheur des nostalgiques: Super Nintendo, Mega Drive, Neo-Geo ou Game Boy Advance… il suffisait alors de télécharger un ROM - un fichier qui correspond à un jeu – pour retrouver un petit goût des années 1980 et 1990.

Le jeu Super Mario Bros
Le jeu Super Mario Bros © Nintendo

Les émulateurs étaient alors l'apanage de petits bidouilleurs qui amélioraient leur logiciel pour continuer à s'adonner à Earthworm Jim ou Mario Kart (version 2D, bien sûr).

Aujourd'hui encore, il est très simple de trouver des émulateurs et des ROMs, avec une assurance écrite noir sur blanc: tout est légal tant que vous possédez une copie du jeu que vous souhaitez télécharger. Cet avertissement masque en réalité une situation juridique plus complexe.

Sony débouté aux Etats-Unis

En France, c'est l'article L. 122-6-1 II du Code de la propriété intellectuelle, qui encadre en théorie l'émulation, à travers "la copie de sauvegarde".

"Il s'agit d'une mesure de sécurité visant à garantir la continuité d’utilisation d’un logiciel en cas de dommage ou de perte du support original" explique Antoine Chéron, avocat spécialisé dans le numérique, chez ACBM Avocats. Ce droit est confirmé par la jurisprudence: il autorise bien une copie unique en cas de défaillance du logiciel original.

En clair, et même s'il n'existe pas de cas précis sur la question, l'utilisation d'un émulateur pour faire tourner cette fameuse copie de sauvegarde semble donc valable. Les Etats-Unis ont également tranché la question à travers une décision de la Cour suprême.

En 2000, Sony avait attaqué deux entreprises, Bleem et Connectix, qui avaient développé des émulateurs payants pour faire fonctionner des jeux Playstation sur ordinateur.

"Les décisions finales ont toutes été favorables à Bleem et Connectix, la Cour suprême américaine ayant conclu que l’émulateur n’avait pas violé les droits de Sony" précise Antoine Chéron à Tech&Co.

Violation des droits d’auteur

En revanche, le téléchargement ROMs pose davantage de problèmes, notamment pour les anciens jeux vidéo. Légalement, un jeu téléchargé sur son PC n'est pas une copie physique d'une cartouche et donc ne peut pas être considéré comme une copie de sauvegarde.

Dès lors, le téléchargement de ROMs sur Internet est considéré comme une violation des droits d’auteur, et ce, même lorsque l’utilisateur détient le jeu original. "En effet, la sauvegarde étant techniquement impossible, ces copies constituent des contrefaçons" insiste Antoine Chéron. Le fameux avertissement est donc non conforme au droit.

Reste à savoir pourquoi les fabricants sont finalement assez permissifs sur cette question. L'action avortée de Sony a probablement refroidi les ardeurs tandis que l'émulation reste plutôt une pratique de niche. Si Nintendo n'a pas peur de se mettre ses joueurs à dos, d'autres fabricants peuvent tout de même craindre une réaction musclée de leur communauté de joueurs.

"De plus, la législation sur le droit d’auteur varie d’un pays à l’autre, ce qui peut compliquer les poursuites transfrontalières pour les fabricants" précise Antoine Chéron qui juge la lutte contre l’émulation comme "une source d’efforts financiers trop importants."

Thomas Leroy Journaliste BFM Business