Tech&Co
Gaming

"C'était un enfer": Baldur's Gate 3, le difficile parcours d'un "jeu de cuisine Ikea" devenu un succès

Avec le Pégase du meilleur jeu international reçu jeudi dernier, Baldur's Gate 3 vient ajouter un nouveau trophée à des étagères bien garnies. Un succès surprise pour un jeu revenu de loin.

Octobre 2020. Google Stadia - feue la plateforme de cloud gaming du géant de l'internet - lance sur son service un jeu particulièrement attendu des fans: Baldur's Gate 3 sort en early access (le premier chapitre seulement et une vingtaine d'heures de jeu) dans une sorte d'indifférence.

Une sortie qui ne défraie pas la chronique alors que la saga attend un véritable nouvel opus depuis 20 ans et Baldur's Gate II: Shadows of Amn. Mais, en arrivant sur Stadia qui s'est offert l'annonce exclusive en préambule de l'E3 2019, le jeu suscite plus les moqueries d'un service qui peine à décoller et convaincre.

Le jeu finira par être lancé aussi sur Windows et macOS, dans un quasi anonymat, sans vraiment de joueurs pour tester cette première version, avant que l'on croie à la fin de l'aventure avec la fermeture de Stadia en janvier 2023.

Covid, fermeture de Stadia et débuts mitigés

"On avait tout fait pour que ça marche, mais avec les problèmes de Stadia, on a eu des gros doutes, des moments de grosse frayeur", confie à Tech&Co Edouard Imbert, lead combat designer chez Larian Studios, le studio belge à l'origine du titre. "Et au final, ça a plutôt bien marché."

Ce serait presque un euphémisme tant l'aventure Baldur's Gate 3 tiendrait presque du conte de fée... et d'un enchaînement de bâtons dans les roues. Si Google est le premier à croire en la résurrection de la licence entre les mains du studio belge, on connaît aussi la capacité de l'entreprise à taper à côté quand elle s'aventure sur de nouveaux terrains sans repères. En quête de légitimité vidéoludique, elle va pourtant porter le jeu, financièrement et en communication. C'est sa perle, Google le sait.

Du côté de Larian Studios, auquel on doit les très acclamés Divinity: Original Sin 1 et 2, le Covid vient aussi contrecarrer les plans. "Ça nous a tous envoyé travailler au fond de nos cuisines sur des tables Ikea pendant 4-5 mois, donc ce n'était pas facile", se rappelle Edouard Imbert.

"C'était un enfer de faire des boss et des combats dans ma cuisine avec ma petite fille qui venait me montrer ses dessins et me demander de jouer à Minecraft", en rigole-t-il maintenant.

"C'est une licence qui a plus de 20 ans, nous en étions tous fans et c'est quelque chose qu'on avait coché sur notre liste, ressusciter Baldur's Gate 3 et lui redonner ses lettres de noblesse, confie-t-il. "C'était un peu fou, peut-être pas une très bonne idée quand on y pense comme ça."

Et Stadia abandonna le navire...

Le jeu va prendre forme chacun dans son coin, chacun dans sa langue aussi avec une équipe polyglotte et plurinationale. Une épreuve, reconnaît-il, alors qu'un jeu se conçoit en équipe pour "être tous ensemble et se parler constamment." Mais malgré les difficultés rencontrées, les équipes de Larian Studios ne veulent "pas faire de compromis".

Image d'illustration du jeu Baldur's Gate 3
Image d'illustration du jeu Baldur's Gate 3 © Larian Studios

Ils en respectent ses codes pour en faire un jeu dans l'univers de Donjons & Dragons à la façon d'un jeu de rôle pour "le dépoussiérer et faire revivre le genre CRPG à l'ancienne" (jeu de rôle sur ordinateur, NDLR).

Pas aidé par le Covid et les confinements, le jeu est décalé à sa sortie sur Stadia de septembre à octobre 2020. Il vivote jusqu'à voir les joueurs déserter plus la plateforme que le titre en lui-même. Mais cela permettra malgré tout à Larian d'avoir ses premiers retours pour peaufiner le rendu final. Il n'en ressuscitera que plus fort près de trois ans plus tard. Le temps est parfois un allié.

Le jeu sort en plein milieu de l'été 2023 et ses créateurs sont les premiers surpris par le succès immédiat. "Ça a commencé et on se disait qu'on avait de la chance: 'Ils n'ont pas compris le jeu. Ils ne voient pas les problèmes'", s'étonne encore aujourd'hui le responsable des boss du jeu. "Parce que nous, on ne voyait que les problèmes, on ne voyait que les bugs. On se disait qu'à un moment, quelqu'un allait se réveiller et se dire que le jeu n'était pas 'big', mais nul. Et puis, ça a continué."

"Il y avait le feu à la salle des machines"

Alors qu'ils espéraient voir arriver au maximum 100.000 joueurs, ils doivent faire face à des vagues incessantes. "Notre patron Sven (Vincke, le patron de Larian Studios, NDLR) avait dit aux équipes techniques: 'préparez-vous pour 100.000 joueurs à peu près'. Puis, on en a eu 800.000 en même temps. Les équipes n'étaient pas très contentes en bas, il y avait le feu à la salle des machines", se souvient-il avec amusement.

Baldur's Gate 3
Baldur's Gate 3 © Larian Studios

Le succès se dessine très rapidement et surprend les premiers concernés. "On ne s'attendait pas du tout à ça. Bien sûr qu'on voulait que ce soit un tel succès, mais entre ce qu'on veut et ce qui se passe après, il y a toujours un fossé et le succès nous a tous pris de court", admet Edouard Imbert, tout en reconnaissant avoir une certaine fierté et un soulagement.

"On était fier et soulagé de ne pas avoir été les mecs qui ont détruit Baldur's Gate ou qui ont loupé sa résurrection parce que ça, c'était une vraie terreur."

Des Game Awards aux Pégases en passant par les DICE Awards et les Golden Joystick Awards, Baldur's Gate 3 est sans doute le jeu le plus récompensé de l'année 2023. Succès auprès des spécialistes, mais aussi des joueurs pour un jeu considéré "de niche" qui a su séduire plus de 10 millions d'adeptes.

"Pour moi, ce que je retiendrai, c'est que Baldur's Gate 3 est le jeu que j'ai fait dans ma cuisine", conclut Edouard Imbert avant de laisser entendre que, malgré la pluie de récompenses, l'histoire n'est pas terminée pour le jeu. "Est-ce la fin de l'aventure? Je n'en sais rien, mais vous pouvez nous souhaiter du courage pour les tâches qui nous attendent parce qu'il y a du boulot."

Melinda Davan-Soulas