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"Injuste" et "inéquitable": à quoi correspond vraiment la taxe streaming imposée aux plateformes?

Les géants de l'industrie musicale s'opposent fermement à ce prélèvement fiscal, mais à quoi sert-il vraiment ? Tech&Co fait le point pour vous.

"Injuste" et "inéquitable". Après l'approbation d'une taxe sur le chiffre d'affaires des plateformes d'écoute de musique en ligne, les géants du streaming musical ne décolèrent pas.

Ce nouveau prélèvement va être mis en place dès le début d'année prochaine par le gouvernement, dans le cadre d'un amendement au projet de loi sur le budget 2024.

Six organisations de la filière musicale avaient salué le vote du Sénat fin novembre, favorable à cette mesure, brandie par Emmanuel Macron, lors de la fête de la musique, en juin dernier, qui aspire à financer le Centre national de la musique (CNM).

Mais cette annonce ne fait pas que des heureux et les plateformes comme Deezer et Spotify s'y opposent fermement. Jeronimo Folgueira, PDG de Deezer, s'est dit "profondément déçu" par l'introduction de cette taxe.

"Les intentions sont bonnes mais il s'agit du pire scenario pour l'industrie musicale en France", a-t-il déclaré à Tech&Co.

Spotify, leader du streaming musical en France, et son directeur général Antoine Morin ont même menacé, sur le plateau de FranceInfo ce jeudi matin, de "désinvestir" la France au profit d'autres pays plus prometteurs comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni.

Définie comme un prélèvement "injuste" et "inéquitable" par les deux patrons, la taxe sur le chiffre d’affaires des plateformes de streaming musical s'ajoute à une pléthore d'autres contributions. Comme celles destinées aux "ayants droit de la musique" (environ 70% du chiffre d’affaires), les services vidéos (5%) et les services numériques (3%).

Une taxe fixe...

Le rapport du sénateur Renaissance Julien Bargeton évoquait, initialement, une taxe à hauteur d'1,75% sur le chiffre d'affaires de l'entreprise. Le prélèvement qui devait être modulaire et progressif - en fonction des revenus des plateformes - ne le sera finalement pas.

À en croire l'exposé sommaire de l'amendement présenté par le gouvernement ce jeudi 14 décembre, le taux d'1,75% va évoluer pour arriver à 1,2% mais ne sera pas modulable. Une décision pour "atteindre le rendement estimé de 18 millions d’euros, dans la perspective, à terme, d’une augmentation progressive" de la taxe.

"Avec ce taux fixe, les services européens et indépendants de streaming musical (comme Deezer et Spotify, ndlr) seront fortement impactés. Alors que les plateformes géantes américaines pourront facilement absorber une telle taxe", poursuit Jeronimo Folgueira à Tech&Co.

Les géants américains ne sont autres qu'Apple Music ou Amazon Music, dont les revenus ne dépendent pas uniquement de l'industrie musicale. "La France représente 60% de notre chiffre d'affaires", déplore Stéphane Rougeot, le directeur général adjoint de Deezer à Tech&Co.

"Deezer a aussi proposé, au gouvernement, une contribution volontaire, mais l'idée n'a pas été retenue. Les pure-players (entreprise exerçant dans un secteur d'activité unique non diversifié, ndlr) comme nous, sont d'autant plus impactés" poursuit-il.

...qui existe déjà?

Mais est-elle vraiment inéquitable? Ce n'est pas l'avis partagé par Aurélie Hannedouche, directrice du Syndicat des Musiques Actuelles (SMA) et membre du conseil d'administration du Centre national de la musique (CNM).

"Ce qui est inéquitable, à ce jour, c'est le fait que le domaine musical phonographique n'ait pas été concerné par cette taxe plus tôt. Alors qu'elle existe déjà dans le monde du spectacle depuis de très nombreuses années", assure-t-elle auprès de Tech&Co.

La taxe, jusqu'ici, n'était donc pas appliquée aux plateformes de musique en ligne. La faute à une création trop hâtive du CNM. "Le Centre national de la musique a été créé en janvier 2020, sur les fondements du CNV (Centre national des variétés)", détaille Aurélie Hanneouche.

"Le souci, c’est qu’au moment de sa création, il appliquait une taxe réservée au monde du spectacle. Logiquement, la taxe fiscale aurait dû être étendue à tout le secteur musical… Ce qui n’a pas été fait puisqu’il a été créé à la hâte et que le Covid a suivi."

Stimuler la dynamique de la scène musicale française

Le monde des spectacles, qui a souffert de la pandémie de Covid et qui souffre de l'inflation ne "peut pas" assurer seul la survie du secteur de la musique.

"Il faut voir cette taxe comme un cercle vertueux, car elle est redistributive. Elle permet de financer la création de festivals, des salles de concerts dans les zones rurales... Ces mêmes scènes qui mettront en valeur les futures têtes d’affiche", ambitionne la directrice du SMA.

"Tous les grands artistes du moment, comme Juliette Armanet, Eddy De Pretto ont commencé leurs carrières sur des petites scènes. Si personne ne leur accorde une place sur scène et ne mise sur eux. Certains vont exploser, comme DJ Snake (qui a vendu 80.000 tickets en trois minutes pour son concert au Stade de France en mai 2025). Et d'autres feront des carrières moins flambantes comme Dominique A ou Bertrand Belin".

De possibles répercussions ?

Comme le constatait Antoine Monin, directeur général de Spotify France, sur le plateau de FranceInfo ce jeudi matin, la taxe ne représente "pas seulement" les 17 centimes par mois prélevés sur un forfait d'entrée. "70% de nos revenus vont aux ayants droit de la musique et la taxe se répercute sur les 30% restants".

Le représentant de l'entreprise suédoise se voulait, d'ailleurs, rassurant quant à une possible hausse des tarifs puisque Spotify n'a "pas encore pris de décision" sur ses actions futures pour absorber la taxe. Ce qui veut dire qu'une augmentation des tarifs n'est pas dans les cordes... pour le moment.

Même constat chez Deezer où la stratégie de répercussion de la taxe n'a "pas encore" été décidée. Stéphane Rougeot, directeur général adjoint de Deezer affirme qu'elle "ne sera pas répercutée sur les ayants droit de la musique" et que l'impact sur les utilisateurs mérite une "réflexion plus approfondie".

"La difficulté que l'on rencontre, c’est qu'il y a eu une augmentation du prix des forfaits en septembre. Maintenant, nous sommes un euro plus cher que les autres services", constate Stéphane Rougeot.

Les plateformes ayant un chiffre d’affaires inférieur à 20 millions d'euros ne seront pas concernées par cette taxe. Qobuz, notamment, devrait être épargné.

Willem Gay