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Placements verts: rentables mais pas durables ?

En combinant rendements et approche "responsable", les supports d’investissements qui se voient honorés d’une caution "green", séduisent de plus en plus d’investisseurs… Du moins pour l’instant.

Donner du sens à ses placements. Investir de manière responsable tout en dynamisant son portefeuille d’actifs… Les placements verts, durables, green, ou responsables rencontrent, quelle que soit leur appellation, un succès grandissant depuis plusieurs années. Et ce, tant auprès des investisseurs particuliers et institutionnels que des professionnels qui les distribuent.

278 milliards d'euros placés dans des fonds durables en 2019

En 2019, les Français ont placé près de 278 milliards d'euros dans des fonds durables, (+86% par rapport à 2018) selon Novethic, le centre de recherche et d'information sur l'investissement socialement responsable (ISR). Cette année-là, 704 fonds durables ont vu le jour. Soit une hausse de près de 50% en un an. Parmi eux, 117 nouveaux fonds (263 au total) ont reçu le label ISR. Un précieux sésame octroyé aux produits financiers qui privilégient des investissements dans des sociétés qui participent à la protection de l’environnement, à la pratique d’une activité responsable et qui prennent en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (les fameux critères "ESG").

Jusqu’à présent, l’octroi de ce label était l’apanage de certains marchés à l’instar du marché actions. Mais depuis juillet 2020, d’autres supports d’investissement ont obtenu l’autorisation d’être labellisés ISR. Il s’agit de fonds d'investissements alternatifs (FIA) en immobilier tels que les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) et les organismes de placement collectif en immobilier (OPCI).

Les SCPI en quête de sens

Tout comme pour le marché actions, les acteurs du monde des SCPI ont pour ambition de faire rimer rendement, sécurité et conviction responsable. Un marché aujourd’hui considéré comme l’une des poches d’investissement disposant du couple rendement/risque le plus optimal et qui, bien que chahuté par les différents confinements, est parvenu à sauver les meubles en 2020. Avec un taux de rendement moyen qui s’est maintenu à plus de 4% l’an passé, le secteur a su faire preuve d’une étonnante résilience. Une aubaine pour les investisseurs qui peuvent désormais investir dans des immeubles de bureaux ou des commerces qui prennent en compte, dans leur construction, des critères ESG.

Valoriser son patrimoine

Invité dans l’émission BFM Patrimoine sur BFM Business il y a quelques semaines, Joachim Azan, le président fondateur de Novaxia, ne tarit pas d’éloges quant à cette approche responsable appliquée au marché des SCPI.

Prenant l’exemple d’immeubles gérés par la SCPI Neo de Novaxia, il explique avoir pour ambition de "réduire de 50% les émissions de CO2 sur les dix prochaines années (…)".

En faisant cela, poursuit-il, on n’a plus à choisir entre le sens et la rentabilité. On sait dans quoi on investit (…) Être ISR, c’est préserver son patrimoine et donc le valoriser dans le temps".

"Investir vertueux, ça rapporte"

Audit des émissions de CO2 et des économies d’énergie réalisées, lutte contre l’obsolescence des bâtiments, respect de la relation avec le locataire, signature de baux verts… Pour pouvoir être labellisés ISR, les immeubles et commerces dans lesquels les investisseurs peuvent souscrire des parts par le biais de sociétés de gestion doivent prendre en compte "toute une série d’indicateurs qui sont du bon sens, qui sont respectueux et qui créent de la valeur", détaille le patron Novaxia. Des indicateurs qui permettent non seulement de renforcer la confiance et l’attrait des investisseurs désireux de donner du sens à leurs placements, mais également de dynamiser les rendements des enveloppes auxquelles ils sont adossés.

"La SCPI Neo, qui est verte, (…) a rapporté en 2019, 6,47% [de taux de distribution sur valeur de marché – TDVM – NDLR], là où la moyenne des TDVM pour l’ensemble des SCPI a été de 4,4%. Donc si j’ose dire, investir vertueux, ça rapporte", explique Joachim Azan.

"Les performances passées ne préjugent pas des performances futures"

Sauf que tel que le souligne régulièrement l’AMF, se fier aux performances passées d’un placement est une chose, considérer qu’elles peuvent se maintenir dans le temps est une projection hasardeuse. Et le fait de jeter son dévolu sur des supports d’investissement responsable ne fait pas exception à la règle. Mickaël Mangot en sait quelque chose… Pour cet économiste spécialisé en finance comportementale et responsable, force est de constater que cette caution green, lorsqu’elle est adossée au marché actions, a permis aux investisseurs de dégager ces dernières années des rendements plus importants.

"Ce que l’on observe, sur les cinq dernières années, c’est que toutes les stratégies ESG et bas carbone ont surperformé par rapport aux stratégies traditionnelles. Mais il y a plus de débat sur les stratégies d’exclusion sectorielle", pondère-t-il.

Je ne suis pas sûr qu’une surperformance qui repose sur une stratégie ESG puisse s’inscrire dans la durée. Une bonne performance combinée à une baisse du risque et à une satisfaction morale des investisseurs, ce serait tout à fait contraire à l’idée d’efficience. Il faut plutôt voir la période actuelle comme une période de transition, les marchés prenant progressivement en compte la valeur des bonnes pratiques. A long terme, il y a un risque de surréaction et il pourrait y avoir une correction", estime Mickaël Mangot.

D’autres observateurs vont même jusqu’à considérer que les bonnes performances des placements verts seraient principalement liées au fait que les flux financiers se déplacent de plus en plus d’entreprises qui ne disposent pas d’une caution green vers des entreprises aux pratiques et aux convictions plus responsables.

L'ère du "purpose washing"

Auteur par ailleurs d’un ouvrage intitulé L’Empire du sens, Mickaël Mangot considère que l’ère de "green washing" - ce procédé qui, pour rappel, vise à véhiculer une image trompeuse mais responsable d’une entreprise – est en passe d’être détrôné.

Aujourd’hui, on a franchi un nouveau cap en passant dans l’ère du ‘purpose washing’", assure-t-il.

Une ère où l’objectif, la finalité sont devenus plus importants que la stratégie elle-même et qui, dans le cadre de placements responsables, constitueraient un élément déterminant pour les investisseurs.

Du reste, pour ce spécialiste de la finance responsable, il est aujourd’hui nécessaire de se demander ce que signifie concrètement le fait de "donner du sens" à son épargne, à ses placements, ou encore à son travail… Une formule qui peut parfois s’avérer "complètement creuse" selon lui lorsqu’elle ne s’appuie que sur un "ressenti subjectif et ignore l’impact objectif". Pour Mickaël Mangot, sur les marchés financiers, les investisseurs pourraient éventuellement réussir à jouer un rôle en faveur de la planète si et seulement si ils investissaient sur le marché primaire. C’est-à-dire au moment de l’émission des titres.

"En quoi est-ce responsable d’acheter des titres d’occasion, des titres déjà émis qui étaient déjà la propriété de quelqu’un? Je ne vois pas dans quelle mesure on peut réussir à avoir un impact positif sur la planète en misant sur le marché secondaire", lance Mickaël Mangot.

Pourtant, ajoute-t-il, le besoin de sens est indéniable, notamment en France. "Nous vivons dans un pays où la fraction de la population qui ne trouve pas un sens à sa vie est la plus élevée au monde et cette situation s’explique par de multiples facteurs".

L’offre et la demande

A l’inverse, d’autres sources estiment que l’intérêt pour l’investissement responsable n’en est qu’à ses prémices et que cette surperformance affichée des placements verts pourrait véritablement s’inscrire dans la durée. Pour quelles raisons ? En premier lieu parce que les investisseurs sont demandeurs. L’exécutif a, par exemple, renforcé ses exigences réglementaires vis-à-vis des entreprises en les obligeant à prendre en compte des enjeux sociaux et environnementaux dans la gestion de leur business du fait de la Loi Pacte notamment.

Pour Guillaume Sommerer (rédacteur en chef adjoint au sein de BFM Business et auteur du livre Placements verts, mythes et réalités – Ce que vous gagnerez à y investir, éditions du Rocher), il apparaît surtout que "le risque, c’est de rester dans l’ancien modèle" (…) "Les entreprises qui ne s’adapteront pas encourent des sanctions, des amendes et de passer à côté de nouveaux marchés. Cela engendre autant de risques et de contrepieds financiers pour les investisseurs".

Du côté des hautes sphères économiques et financières, certains, à l’instar de Mark Carney, l’ancien gouverneur de la banque d’Angleterre, vont même jusqu’à considérer que les actifs qui ne tiendraient pas compte des critères ESG pourraient être "condamnés à mort" parce qu’ils ne seraient plus en mesure d’attirer des flux d’investissement.

Certes, des risques de bulle verte existent sur certains actifs aujourd’hui surachetés, mais la qualité ESG des placements restera durablement un critère de sélection et une condition de performance à venir", renchérit Guillaume Sommerer, pour qui cette stratégie responsable n’en n’est qu’à ses balbutiements.

"Il est probable que le mouvement s’accélère encore, la crise du coronavirus ayant renforcé les exigences des citoyens et des épargnants (…) Les confinements forcés en 2020 ont eu des effets positifs. Ils ont permis quelque temps de redécouvrir les effets bénéfiques d’une baisse drastique des émissions de CO₂ (…) Cette crise sanitaire inspirera probablement de plus en plus d’appels au changement et d’initiatives", détaille-t-il dans son livre. Une véritable "mutation de la croissance", poursuit le journaliste qui consiste à "mettre l’argent des placements aussi au service des énergies propres et du bien-être collectif".

Au final, entre cette notion de responsabilité des entreprises et cette quête de sens dont la définition est propre à chacun, il est parfois difficile pour les investisseurs de s’y retrouver. Le label ISR, l’évolution des mentalités ainsi que la réglementation avec laquelle les entreprises doivent aujourd’hui composer permettent, malgré des controverses persistantes, de donner davantage de crédit aux placements verts. Quant à savoir si retournement de marché, ou bulle il y aura à plus ou moins long terme, les avis forcément demeurent partagés.

Par Julie Cohen-Heurton