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Massacres au Soudan: la BNP avait sciemment maintenu ses opérations, estiment les enquêteurs

Après sa condamnation en appel dans le cadre de l'affaire des prêts immobiliers Helvet Immo, BNP Paribas a trouvé une solution à l'amiable avec l'association de consommateurs CLCV, qui pourrait lui coûter entre 400 et 600 millions d'euros

Après sa condamnation en appel dans le cadre de l'affaire des prêts immobiliers Helvet Immo, BNP Paribas a trouvé une solution à l'amiable avec l'association de consommateurs CLCV, qui pourrait lui coûter entre 400 et 600 millions d'euros - Philippe HUGUEN © 2019 AFP

Neuf réfugiés soudanais, la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) et la Ligue des droits de l'Homme (LDH) accusent BNP Paribas et sa filiale suisse de s'être substituée à la banque centrale soudanaise entre 2002 à 2008, malgré des embargos internationaux.

L'enquête visant la BNP Paribas pour complicité de crimes contre l'humanité perpétrés au Soudan lors du conflit du Darfour progresse: après des perquisitions massives en 2021, les policiers estiment que la banque y a maintenu ses opérations bancaires "en toute connaissance de cause". L'information judiciaire porte sur les années de 2002 à 2008 au Soudan, pendant lesquelles une guerre dans la région du Darfour (ouest) a éclaté, faisant 300.000 morts et près de 2,5 millions de déplacés, d'après les Nations unies.

Les plaignants - neuf réfugiés soudanais, la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), la Ligue des droits de l'Homme (LDH) - accusent la BNP Paribas et sa filiale suisse de s'être substituée à la banque centrale soudanaise, malgré des embargos internationaux, permettant ainsi aux milices d'utiliser ses fonds pour acheter des armes. En juin 2021, des perquisitions, révélées par le magazine Challenges, ont été réalisées dans plusieurs services de la BNP Paribas en région parisienne et à Genève, dans la filiale suisse.

Une amende de 8,9 milliards de dollars

L'exploitation de la masse de documents saisis est encore en cours, mais l'AFP vient d'avoir connaissance de premières conclusions de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières (OCLCLIFF) et de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF).

"La banque BNP Paribas a décidé de continuer les opérations bancaires avec ce pays (le Soudan, ndlr) en toute connaissance de cause, se substituant même aux banques américaines pour les opérations de clearing" ou compensation, d'après plusieurs comptes rendus.

"Il ressort des documents internes de la BNP Paribas Suisse que la banque était au courant en temps réel de l'évolution des règles internationales", soulignent les enquêteurs en décembre 2021.

Par ailleurs, "la mise en garde d'un rapport de l'inspection générale effectué fin 2005" n'est pas suivie d'effet, relèvent les policiers en février 2022. L'inspection générale a notamment mis au jour des échanges de mails qui mentionnaient "l'existence d'une preuve matérielle d'une règle de discrétion sur le sujet embargos", sujets pour lesquels "l'oral est/était de rigueur".

"Ce n'est que la procédure américaine et le risque pénal sévère encouru par la BNP Paribas qui ont mis fin à ces transactions et qui aboutiront en 2013 au paiement d'une amende record pour une banque française", poursuivent les enquêteurs.

En 2014, la BNP Paribas a plaidé coupable aux États-Unis de violation des embargos américains contre le Soudan, Cuba et l'Iran, et s'est acquittée d'une amende de 8,9 milliards de dollars. Le groupe bancaire français a déclaré à l'AFP n'avoir "aucun commentaire à apporter sur cette procédure qui suit son cours".

"Ne plus revoir la lumière du soleil"

Lors de son audition en décembre 2022, dont l'AFP a eu connaissance, un réfugié soudanais a raconté à la juge d'instruction les "tortures" infligées par les Janjawids. Ces miliciens arabes ont mené, dans les années 2000, la politique de la terre brûlée pour la dictature militaro-islamiste d'Omar el-Béchir.

"On pouvait voir des enfants qui n'ont que douze ans, armés et payés pour effrayer la population", a-t-il relaté. "Ils ont tué nos parents. Ils ont payé des espions".

L'homme dit avoir été enlevé, puis "tabassé" pendant un mois lors d'interrogatoires où ses bourreaux lui demandaient s'il était "contre le gouvernement".

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"Après les pires tortures que j'ai connu(es), ils m'ont emmené ailleurs". Il est remis en liberté sous la menace: "ils (m'ont dit) que si j'étais arrêté encore une fois pour les mêmes faits, je ne reverrais plus la lumière du soleil. Cette expression veut dire qu'on va me tuer".

En 2004, les Etats-Unis estimaient que les atrocités commises au Darfour répondaient à la définition d'un "génocide". Les plaignants dénoncent aussi des massacres dans les états du Kordofan-Sud et du Nil bleu.

Omar el-Béchir ne fut destitué qu'en 2019 par l'armée, sous la pression de quatre mois de révolte populaire. Il est toujours réclamé par la Cour pénale internationale (CPI) pour génocide et crimes contre l'humanité commis lors de ce conflit au Darfour. Vingt ans après, cette région a replongé dans la guerre en avril 2023. L'armée, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane, s'oppose aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohammed Hamdane Daglo, l'ex-patron des Janjawids.

PS avec AFP