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SNCF: travaux, pannes à répétition... L'été "cauchemardesque" des usagers des lignes normandes

Eté cauchemar pour les usagers des lignes normandes

Eté cauchemar pour les usagers des lignes normandes - @DR SNCF

Entre les travaux d'été rallongeant les temps de trajet et les multiples dysfonctionnements sur les différentes lignes reliant Paris à la Normandie, les associations d'usagers réclament des comptes à la Région et à la SNCF.

Des incidents quasi-quotidiens, causant retards et annulations en cascade. Pour les usagers réguliers des lignes SNCF Normandie, l'été 2022 restera un mauvais souvenir. "Cauchemardesque", résume Karine Courteaud, présidente de l'Association de défense des usagers du rail normand (Adurn).

Ce n'est pas la première fois que le service ferroviaire normand fait parler de lui. Ces derniers mois, malgré le remplacement progressif des trains Corail vieillissants par les nouvelles rames Omneo, les voyageurs empruntant le réseau "Nomad" ont connu de multiples déboires. A tel point que le président de la région, Hervé Morin, a suspendu à deux reprises ses paiements à la SNCF depuis 2020.

"Il y a souvent des problèmes sur les lignes normandes", confirme Karine Courteaud. "Mais cet été, c'était tous les jours. On n'avait jamais vécu ça". Panne de signalisation, panne d'aiguillage, animal heurté, obstacle sur les voies, incident caténaire... Selon notre décompte, environ 70 incidents ont provoqué un ou plusieurs retard(s) et/ou suppression(s) de trains entre le 1er juillet et le 20 août sur les lignes interrégionales (Caen-Rouen, Caen-Cherbourg, Rouen-Dieppe...) et lignes dites Krono+ (Paris Saint-Lazare - Le Havre, Paris Saint-Lazare - Cherbourg, Paris Saint Lazare - Deauville, etc.). Soit plus d'un incident par jour en moyenne.

Travaux et canicule

Les usagers pointent directement la responsabilité des travaux de prolongement du RER E parisien jusqu'à Mantes-la-Jolie. Ce chantier a conduit dès le 11 juillet à la fermeture des voies du groupe 5, entre Paris et Mantes par Poissy, jusqu'alors empruntées par les trains normands en provenance ou à destination de la capitale. Ces mêmes trains ont été basculés sur les voies du groupe 6 (Paris-Mantes, via Conflans Ste-Honorine) déjà utilisées par les trains Transilien et les trains de fret.

"On savait que ce serait un été compliqué, mais pas pour des raisons normandes, pour des raisons franciliennes", déclare Jean-Baptiste Gastinne, vice-président de la région Normandie, en charge des transports.

Outre un temps de trajet rallongé d'environ trois quarts d'heure pour les voyageurs normands, ce contournement a "généré des trains supplémentaires au trafic déjà dense" des trains franciliens, regrettait l'Adurn en juillet.

"Il suffit d'un grain de sable sur la ligne, et c'est l'effet cascade... C'est l'effet domino, tous les trains sont en retard les uns après les autres", souligne encore Karine Courteaud.

Plutôt que les travaux, la SNCF invoque la canicule pour justifier une partie des dysfonctionnements. Entre le 10 et le 19 juillet, une vingtaine d'incidents sur le réseau normand ont été recensés par la compagnie ferroviaire, dont 95% étaient liés à des "problèmes de surchauffe des infrastructures ou des installations électriques", a expliqué l'entreprise publique à Ouest-France.

Sur ce point, Jean-Baptiste Gastinne affirme que la Normandie s'est retrouvée confrontée aux mêmes problèmes que les autres régions "avec l'impact des températures élevées sur les infrastructures". Il reconnaît cependant que le réseau normand a "peut-être plus souffert qu'ailleurs". "On est tributaires d'installations qui vieillissent, qui n'ont pas été renouvelées ces dernières années", ajoute le vice-président. Avant de saluer "l'investissement des cheminots de SNCF Réseau qui ont dû identifier des pannes par 42 degrés à l'ombre".

"Conditions de voyage intolérables"

Si la Région n'a pas hésité à mettre en cause la SNCF pour les perturbations du transport ferroviaire normand ces deux dernières années, Jean-Baptiste Gastinne estime cette fois qu'il est difficile d'établir "une responsabilité".

Les quatre associations de défense des usagers normands n'en sont pas convaincues. Dans un communiqué commun publié dès le 20 juillet, elles ont alerté sur des "conditions de voyage intolérables" et déploré le manque d'anticipation de la Région comme de la SNCF: "Depuis le lundi 11 juillet pas une matinée, pas une soirée sans incident. Des retards énormes et des suppressions en chaîne! (...) Nous avions prévenu depuis plusieurs mois la Région et la SNCF sur les risques que" les travaux d'été feraient "courir aux usagers du train, d'autant que toute panne en ligne provoquerait l'arrêt du trafic n'ayant plus la possibilité de dévier les trains par l'autre rive de la Seine".

"En plus d'une situation déjà prévisible, les éléments naturels se retournent contre nous ces derniers jours (orages, canicule...), des éléments d'infrastructure réseau tombent en panne et n'arrangent en rien la situation", décrivaient encore les associations, évoquant des usagers "à bout... nerveusement, physiquement, familialement". "Ce n'est plus tenable", écrivaient-elles.

"Les gens étaient à bout"

Les passagers des trains Nomad n'étaient pourtant pas au bout de leur peine. Malgré l'alerte lancée par les associations fin juillet, les dysfonctionnements ont perduré et les jours sans aucune perturbation demeuraient l'exception. "J'ai repris le train début août. Entre le 1er et le 15, il n'y a pas un jour où j'ai été à l'heure", raconte Karine Courteaud, utilisatrice régulière de la ligne Rouen-Paris.

La ligne Granville-Paris n'a pas été épargnée avec une panne d'envergure sur un poste d'aiguillage mettant le trafic à l'arrêt pendant trois jours entre le 8 et 11 août. Mauvais hasard: le 9 août, un accident de tractopelle ayant heurté les voies a paralysé la circulation des trains pendant une matinée sur la ligne Paris-Cherbourg.

"Ca a été très compliqué. Les gens étaient à bout. Au-delà du temps de trajet allongé, on montait dans le train et on pressentait le problème qui allait arriver. C’était juste incroyable. On connaissait l’ampleur de ces travaux, on savait que ça risquait d’être compliqué mais on ne s’attendait pas à autant de problème les uns à la suite des autres", se souvient Karine Courteaud.

Droit de retrait

Les différents incidents survenus sur les lignes normandes ne sont évidemment pas tous imputables à la SNCF. Selon la compagnie ferroviaire, entre le 8 et le 14 août, plus d'un quart des perturbations étaient dues à des événements externes (bagages abandonnés, heurts d'animaux, accidents de personnes, personne sur les voies...). Mais plus de la moitié étaient liées au "Gestionnaire de réseau" (installations ferroviaires, travaux...), dont une partie elles-mêmes dues aux fortes chaleurs, et le reste directement aux trains (matériel, conduite...).

Toujours est-il que la SNCF revendique des taux de ponctualité tout à fait honorables. D'après elle, 90,2% des trains normands étaient ponctuels à 5 minutes entre le 8 et le 14 août et 84,7% des trains de pointe. Des chiffres globalement stables tout au long de l'été mais dont la publication a fait bondir les usagers: "C'est marrant mais le ressenti voyageur et personnel de bord n'est pas tout à fait le même. C'est limite de l'insolence de nous sortir ces chiffres là au vu de tout ce que l'on vit et traverse depuis des semaines", a réagi sur Twitter l'Association de Défense des Usagers du Rail Normand. De fait, les trains supprimés ne sont pas pris en compte dans ces calculs.

Le 14 août, la situation s'est encore envenimée avec une nouvelle perturbation du trafic sur les lignes Paris-Normandie. Non pas pour une panne cette fois, mais en raison d'un droit de retrait exercé par des agents commerciaux de la SNCF, excédés par la "recrudescence des outrages" envers le personnel.

"Les agressions sur les personnels se multiplient dans le silence, les nerfs des usagers lâchent dans l’indifférence, les retards se multiplient et deviennent la normalité, on nous pond des chiffres de ponctualité superbes, tout va mal", a dénoncé l'Adurn. Et d'ajouter: "Le personnel souffre de la situation, les usagers morflent sec, on nous dit à tous que tout va bien et qu’il s’agit d’événements exceptionnels (la canicule souvenez vous)!". De son côté, l'Union des usagers du Paris-Caen-Cherbourg (UDUPC) a déploré des agressions "pas acceptables" et appelé la direction de la SNCF à "entendre les griefs des agents" car "nous subissons tous!".

Dédommagement insuffisant pour les associations

En réponse au mécontentement des passagers, la SNCF a consenti fin juillet un geste commercial en proposant une indemnisation à hauteur de 40 euros pour tous les voyageurs concernés par un incident entre le 10 et le 20 juillet, lors de l'épisode de canicule. Et ce "peu importe le prix initial de leur billet ou la raison de leur mécontentement".

Une réponse inadéquate pour les associations d'usagers qui dénoncent une indemnisation réservée aux seuls voyageurs occasionnels, tandis que les abonnés n'ont pas obtenu de dédommagement malgré leur demande. "Vu que les voyageurs occasionnels obtiennent des choses, on a conseillé aux abonnés de remplir un formulaire de réclamation à chaque dysfonctionnement: ça fera peut-être bouger les choses. Depuis quelques mois, les abonnés se sentent méprisés. Les relations deviennent vraiment compliquées", regrettait Pierre Dumont, président de l'UDUPC, auprès de France 3 Normandie.

Les associations d'usagers ont fini par obtenir un rendez-vous avec la Région et la SNCF le 7 septembre prochain. Elles réclameront à cette occasion une "indemnisation de 50% pour les abonnés ayant un abonnement actif en juillet et août". Pour la compagnie ferroviaire, cette réunion permettra de décider "collégialement de ce que l'on fait ou pas en matière de dédommagement", a fait savoir Juliette De Beaupuis, directrice des relations territoriales des lignes normandes, à Actu.fr. "On n'a jamais fermé la porte. On a toujours dit qu'on attendrait que l'été passe", ajoute Jean-Baptiste Gastinne.

La question du dédommagement ne sera pas la seule abordée. Les associations souhaitent aussi que la SNCF et la Région reviennent sur la réservation obligatoire instaurée le 1er juillet avec le "retour de voiture en placement libre". Elles entendent enfin exprimer leur mécontentement sur d'autres désagréments survenus avant même les travaux d'été. Parmi eux: la décision en mars de supprimer 19 trains entre Paris et la Normandie -décision qui n'est que temporaire, assure la Région- faute de fréquentation suffisante, des problèmes de toilettes inutilisables pendant une semaine sur la ligne Paris-Rouen, ou encore un non respect des compositions des rames.

Un projet de "ligne nouvelle"

Depuis le 15 août, les trains normands ont retrouvé leur itinéraire et leur temps de trajet habituels alors que les travaux Eole ont pris fin en semaine: "On a senti les esprits s'apaiser", assure Karine Courteaud, avec des retards moins nombreux selon elle. Les travaux se poursuivront en revanche les week-ends, avec de nouvelles perturbations annoncées (suppressions de trains, modifications d'horaires...).

Si Jean-Baptiste Gastinne dit "comprendre la colère" des associations d'usagers après un été éprouvant, il tient aussi à mettre en avant les améliorations des derniers mois sur le réseau normand, notamment grâce aux nouvelles rames Omneo. "Une partie des investissements ont porté leurs fruits: au premier semestre 2019, 68% des trains normands partaient à l'heure de Paris Saint-Lazare, au premier semestre 2022 c'était 87%.

Reste qu'avec la Corse, la Normandie est à ce jour la seule région de France métropolitaine à ne pas être desservie par le TGV. Et elle en paie aujourd'hui le prix: "On a subi la politique du 'tout TGV' qui s'est traduite par un sous-investissement au cours des dernières années...", regrette Jean-Baptiste Gastinne. Résultat, les temps de trajet entre Paris et Cherbourg (hors allongement lié aux travaux d'été), Paris et Le Havre ou encore Paris et Rouen sont aujourd'hui plus longs que ce qu'ils étaient dans les années 1970.

Relancé en 2008, le projet de ligne nouvelle Paris-Normandie prévoit d'importants travaux dans les années à venir pour raccourcir les temps de trajet entre la capitale et les principaux pôles normands. Un Paris-Caen pourrait ainsi durer 1h35, contre 2 heures aujourd'hui (hors allongement lié aux travaux d'été). Au-delà "d'aller plus vite, l'objectif d'avoir un système plus fiable et plus robuste", détaille Jean-Baptiste Gastinne. "Mais ça avance beaucoup trop lentement", reconnaît le vice-président alors que le projet n'en est qu'aux phases d'études et de concertation. Selon lui, la déclaration d'utilité publique ne devrait pas intervenir avant 2025, et la réalisation concrète avant 2032.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco