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Casino: derrière la bataille pour la reprise, l'inquiétude des salariés

Mardi, le trio Niel-Pigasse-Zouari a déposé une offre à hauteur d'1,1 milliard d'euros pour monter au capital du groupe Casino, actant la poursuite de la bataille avec Daniel Kretinsky pour la reprise du distributeur. Dans les magasins, ce combat de géants inquiète les salariés.

Quel avenir pour Casino? La question de la reprise du groupe de grande distribution agite le milieu économique depuis plusieurs mois avec, au centre de l'arène, un combat de géants entre Daniel Kretinsky d'un côté, et le trio Xavier Niel, Mathieu Pigasse et Moez-Alexandre Zouari de l'autre. Ces derniers ont déposé mardi "une manifestation d'intérêt préliminaire" pour un "renforcement des fonds propres" du distributeur en difficulté allant jusqu'à 1,1 milliard d'euros.

Mais en parallèle de cette bataille de gros sous, l'inquiétude grandit du côté des salariés de Casino. Le groupe emploie 200.000 personnes dans le monde dont un gros quart en France, sous de nombreuses enseignes dont Monoprix et Franprix. D'autant plus qu'en parallèle des négociations financières, Casino compte céder une centaine de ses magasins à Intermarché (57 d'ici fin 2023 et 62 autres d'ici 3 ans). Une bascule qui concernerait quelque 4000 salariés.

L'intersyndicale veut des réponses

Tous ces mouvements ont incité les organisations syndicales à déclencher lundi, à l'unanimité, une procédure de droit d'alerte économique. Cette procédure peut être lancée lorsque le CSE a connaissance "de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise". Les représentants du personnel peuvent ainsi demander à l'employeur de lui fournir des explications.

Concrètement, l'intersyndicale va "lancer des travaux et poser un certain nombre de questions", précise à BFM Business Nathalie Devienne, secrétaire générale SNTA-FO Casino, première organisation syndicale du groupe. Cela pourrait aboutir au déclenchement du droit d'alerte mi-juillet, selon une source proche du dossier.

"On souhaite obtenir de la transparence sur la santé de ces 119 magasins, savoir si c'est judicieux de les vendre et également si Intermarché est en capacité de prendre tous ces magasins", détaille Nathalie Devienne.

Selon la syndicaliste, cette cession concernera "une grande majorité de supermarchés et quelques hypermarchés". "Le transfert des contrats risque de se faire très rapidement, probablement à la rentrée", ajoute Nathalie Devienne, d'où la volonté des syndicats de tirer la sonnette d'alarme. D'après nos informations, l'intersyndicale a fait appel au groupe Legrand pour l'aider à travailler en vue de cette cession.

Inquiétude sur le sort de certains entrepôts

Ce qui inquiète les élus du personnel, c'est le flou qui règne actuellement à l'échelle des salariés. "C'est pas faute d'avoir alerté la direction sur le côté commercial et industriel du groupe", nous dit une source syndicale. "La direction se retranche derrière l'argument qui est que Casino est une société cotée pour ne pas divulguer d'informations", abonde Nathalie Devienne.

"Nous avons demandé un nouveau rendez-vous avec Jean-Charles Naouri, au titre du SNTA-FO, chose qui n'a pas été acceptée", regrette-t-elle.

Certes, Jean-Charles Naouri, le PDG de Casino, a adressé lundi une lettre aux salariés du groupe. Dans le cadre de la reprise du groupe, il évoque la piste de l’entrée "d’un ou de plusieurs nouveaux investisseurs". Il affirme également que le siège historique de Casino ne quittera pas la ville de Saint-Etienne et assure être "très vigilant […] quant au maintien des 50.000 emplois en France".

Pas suffisant pour les syndicats qui ont donc décidé de passer à la vitesse supérieure. "On ne veut pas attendre que la situation se dégrade encore plus", résume une source syndicale. Selon elle, les syndicats ont demandé des informations précises sur les chiffres: "Où est passé l'argent des cessions? Quels investissements sont prévus dans les magasins qui restent sous la bannière Casino? Quid des entrepôts?"

En plus de la situation industrielle du groupe, "la question du positionnement prix en rayons face à la concurrence", inquiète aussi beaucoup les salariés dans les magasins, glisse une source proche du dossier. "Ils veulent rester compétitifs."

"Ce qui nous fait peur aussi, ce sont les dommages collatéraux, notamment pour nos entrepôts qui risquent de perdre du flux. Pour ces salariés, il n'y aura probablement pas de transfert, plutôt un PSE peut-être, mais on ne sait pas encore où on va", complète Nathalie Devienne.

Préserver l'humain dans la bataille

Puisqu'ils se heurtent à un mur du côté de la direction, les syndicats ont donc également décidé de se tourner vers le gouvernement. Avec l'aide du secrétaire général de Force Ouvrière, Frédéric Souillot, ils ont décroché une réunion à Bercy. "Le rendez-vous est acté, maintenant on attend la date", précise Nathalie Devienne.

Autre date-clé: le 28 juin aura lieu un comité de groupe. Les syndicats ont fait savoir à Jean-Charles Naouri qu'ils "ne veulent pas que ce comité ressemble aux précédents". Autrement dit, il faudra apporter des réponses à leurs questions. Sachant que les élus du personnel sont bien conscients que ces cessions, couplée aux offres de reprise et à la procédure de conciliation sur la dette sont nécessaires.

"Il faut tout cela pour sauver Casino", souffle une source syndicale.

Reste désormais à préserver l'humain dans la bataille. "On a bien compris qu'on n'était pas propriétaires de l'entreprise. Nos préoccupations sont simples", rappelle Nathalie Devienne. "D'abord bien accompagner nos collègues salariés qui vont partir chez Intermarché cette année. Et ensuite, accompagner ceux qui seront transférés dans les années à venir."

Par Clément Lesaffre, avec Pauline Tattevin et AFP