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Elon Musk veut transformer X en super-application financière, une idée dépassée?

Un "X" projeté sur la façade du siège de Twitter à San Francisco pour célébrer le changement de nom du réseau social le 24 juillet 2023.

Un "X" projeté sur la façade du siège de Twitter à San Francisco pour célébrer le changement de nom du réseau social le 24 juillet 2023. - Twitter - @elonmusk

[AVIS D'EXPERT] Dès le rachat de Twitter et avant de le rebaptiser X, Elon Musk voulait faire du réseau social une superapp financière. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

Elon Musk n’en démord pas: il veut faire de X (ex-Twitter) une sorte de superapp financière. Avant même son rachat du réseau social, la rumeur courrait et "X", le nouveau nom de Twitter, fait référence à X.com, une start-up créée en 1999 par Musk et l’une des premières banques en ligne. À l’époque, il envisageait que X.com devienne un guichet unique pour les services financiers. Mais X.com a fusionné avec Confinity en 2001 et a été rebaptisé Paypal. Musk a racheté le nom de domaine "X" à Paypal en 2017.

L’idée vient de loin ainsi et, depuis, comme beaucoup d’autres, Musk a été impressionné par la superapp chinoise Wechat, lancée en 2011 par Tencent, pour concurrencer Alipay, la superapp de l’autre géant chinois de l’internet Alibaba, qu’elle est finalement parvenue à supplanter. En 2022, avec 800 millions d’utilisateurs, Wechat ralliait près de 60% de la population chinoise.

C’est que l’on peut tout faire avec Wechat, passer des messages, acheter en ligne, l’utiliser dans les transports, calculer ses itinéraires, etc. et surtout réaliser ses opérations bancaires de base. Le tout sans jamais quitter l’application.

A la base, comme Alipay, Wechat s’est appuyé sur un service de messagerie (celui de Tencent). Serait-il possible de faire de même avec Twitter? Musk veut y croire et il a récemment souhaité que d'ici la fin de l'année prochaine X gère "l'ensemble de la vie financière" de ses utilisateurs, afin qu'ils "n'aient pas besoin de compte bancaire". Et de regretter que Paypal n’ait pas mis en place nombre de fonctionnalités financières clés qu’il avait proposées. "Paypal est donc en fait un produit moins complet que ce que nous avons proposé en juillet 2000, il y a 23 ans".

Des réglementations bien différentes

Si de telles annonces n’ont pas surpris ainsi, elles soulèvent chez la grande majorité des observateurs de nombreuses réserves. Lesquelles reviennent à souligner qu’il est impossible de copier, aux Etats-Unis ou en Europe, ce qu’ont fait Alibaba et Tencent en Chine.

Il est notamment facile de souligner l’assez faible pénétration de X/Twitter par comparaison avec celle dont pouvaient disposer Alibaba et Tencent en Chine: seuls 25% des Français utilisent régulièrement Twitter et 31% des Américains. Il n’y a qu’au Mexique et en Inde que le réseau social touche 50% de la population.

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De plus, en Chine, Alibaba et Tencent ont bénéficié d’une situation incomparable avec celle des pays occidentaux: ils ont apporté une solution simple et commode à des populations qui n’étaient pas ou peu bancarisées. Il y avait donc peu d’usages à transformer.

Par ailleurs, les dispositions réglementaires en matière de concurrence, de protection de la vie privée et des activités bancaires sont bien moins contraignantes en Chine qu’en Occident, où l’on voit mal comment elles pourraient y permettre l’émergence d’une superapp à la Wechat.

Des superapps thématiques

Mais aujourd’hui, la principale réserve concerne la personnalité d’Elon Musk elle-même, qui peut sans doute susciter autant d’adhésions que de rejets immédiats. Toutefois, c’est l’image du patron de Tesla, de SpaceX et de Starlink que mettent justement en avant ceux qui veulent croire que lui seul pourrait bien après tout donner corps à un projet qui, autrement, parait bien inaccessible.

Qu’a fait Tesla pendant des années, en effet, sinon sur-promettre et sous-livrer? Cela n’a pas obérer son succès, dès lors que l’offre était suffisamment nouvelle et attractive. Or il n’y a pas de superapps financières dans nos pays. Certes, il y a eu en ce domaine un certain nombre d’essais, peu concluants. Mais il en allait de même pour Tesla.

Au total, la principale réserve que l’on peut donc formuler à l’encontre d’une superapp greffée sur X est de se demander si Elon Musk n’est pas, depuis son aventure avec Paypal, demeuré prisonnier d’une idée aujourd’hui complètement dépassée. C’est ce que suggère notamment le cabinet Forrester.

Elon Musk a-t-il dix ans de retard? Plutôt que des applications tout-en-un, certains prédisent plutôt aujourd’hui l’essor de superapps thématiques, offrant une multitude de services dans un domaine et face à des besoins précis ; comme Uber dans la mobilité ou Google Maps pour la localisation. En regard, rassembler tous les services financiers dans une seule appli et y joindre l’accès aux innombrables usages qui nécessitent des paiements et des financements, est-ce une si bonne idée? Ce que manque peut-être de voir le propriétaire de X, c’est que si cette idée pouvait paraitre géniale il y a quinze ans, elle ne parait plus qu’un leurre aujourd’hui.

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor