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Enarque ou épicier? Qui est Jean-Charles Naouri, le patron de Casino en garde à vue depuis ce matin

Jean-Charles Naouri, PDG de Casino

Jean-Charles Naouri, PDG de Casino - ERIC PIERMONT / AFP

Placé en garde à vue dans une affaire de manipulation de cours, le patron de Casino est acculé depuis plusieurs mois. Retour sur le parcours de ce financier brillant qui s'est rêvé en géant de la grande distribution.

"Son visage était totalement inconnu des collaborateurs de groupe". Une petite phrase qui en dit sans doute long sur Jean-Charle Naouri, le patron du groupe Casino en garde à vue ce jeudi pour manipulation de cours de Bourse.

C'est Philippe Terrien, ancien directeur exécutif de la branche agroalimentaire du groupe Casino entre 2015 et 2020, qui faisait il y a quelques jours le portrait de son ex-patron sur l'antenne de RFI.

"C'était un personnage extrêmement charismatique, se souvient l'ancien cadre qui l'a connu à son arrivée au sein du distributeur en 1992. Mais j'ai ressenti un très grand éloignement entre Jean-Charles Naouri et les problématiques de terrain. Je rigolais en interne quand j’étais chez Casino, je disais aux énarques avec qui je travaillais: "C'est quand même fou. Vous croyez plus au tableau Excel que vos collaborateurs ont fait qu'à ce que vous voyez". Il y a une espèce de déconnexion complète."

Preuve en est que durant les cinq ans à la tête de la branche agroalimentaire de Casino, il ne rencontrera jamais son PDG. Un peu comme si Tom Cook, le PDG d'Apple, ne voyait jamais le patron de la division iPhone…

Mais Jean-Charles Naouri n'a rien d'un épicier. Ce natif d'Annaba en Algérie, en 1949, élevé par une mère isolée passionnée de musique et agrégée d'anglais, est un pur produit de la méritocratie française. Arrivé en France à l'âge de cinq ans, le jeune Naouri est premier dans toutes les classes et monte à Paris au milieu des années 60 pour intégrer une prépa à Louis-le-Grand.

Avant le business, Normale-Sup et Bérégovoy

Brillant mathématicien reçu premier à Normale-Sup Ulm section scientifique en 1967, étudiant à l'ENA de 1974 à 1976 d'où il sort dans la "botte" (les 15 premiers de la promotion), il intègre l'Inspection des Finances puis la direction du Trésor en 1980.

Débute alors une carrière en politique lorsqu'il rencontre Pierre Bérégovoy dont il devient le directeur de cabinet durant quatre ans, du ministère des Affaires sociales à celui de l'Economie. C'est sous l'impulsion de son directeur de cabinet que le socialiste fraîchement converti à l'économie de marché dérégule la finance sur le modèle anglo-saxon (produits dérivés avec les créations du Matif et du Monep, placements de très courts termes avec les certificats de dépôt ou encore les obligations du Trésor, les fameuses OAT...).

Le libéral Naouri est l'architecte de la finance française moderne qui le fera roi quelques années plus tard. Car durant son passage à Bercy, il noircit son carnet d'adresses qui lui sera très utile pour les années suivantes. Il quitte la fonction publique en 1986 et rejoint Rothschild & Cie Banque en tant qu'associé-gérant (le premier à ne pas appartenir à la famille Rothschild). Ce sera la base de lancement de sa carrière de businessman.

Chevalier blanc des groupes en difficulté

Il crée en 1988 le fonds d'investissement Euris, qui prend des participations minoritaires dans des entreprises industrielles et accroît rapidement ses capacités d’intervention. C'est comme ça qu'il tombe -par hasard- dans la grande distribution. Il rachète en 1991 le distributeur breton Rallye grâce auquel il devient un an plus tard le premier actionnaire du groupe Casino.

Une prise de participation majoritaire qui sera la marque de fabrique du financier Naouri. Il arrive en chevalier blanc dans un groupe en difficulté, prend une participation minoritaire sur ses fonds propres assortie d'options pour en prendre le contrôle ultérieurement. Et il empile les structures et joue sur l'effet de levier de l'endettement des sociétés dont il prend le contrôle pour financer ses acquisitions.

Durant des décennies la formule fait merveille: Franprix-Leader Price, Spar, Vival, Monoprix, Naturalia, Cdiscount ou le groupe brésilien Pão de Açúca… Les groupes de distribution tombent un an un dans l'escarcelle du fort en math.

Casino n'est pas Goldman Sachs

Le problème c'est que Casino n'est pas Goldman Sachs. Le cœur du réacteur du groupe qui finance cette cathédrale d'entités financières reste la vente de boîtes de petits pois, de jambon blanc et de papier essuie-tout… Ce que, dans le jargon de la grande distribution, on appelle le "carrelage", c'est à dire les préoccupations concrètes qui ont trait aux clients.

Des sujets qui ne semblent pas passionner Jean-Charles Naouri qui, avec le temps, se retire toujours plus sur l'Aventin de la finance au lieu d'impulser d'audacieuses politiques commerciales. Résultat: les magasins sont vieillissants, les prix jamais dans le bon tempo, le virage drive pris trop tard, les synergies avec CDiscount trop tardives et peu convaincantes.

Résultat: Casino perd peu à peu des clients, son image-prix ne cesse de se dégrader, le cash-flow généré fond année après année dans un contexte où la guerre des prix entre distributeurs compresse toujours un peu plus les marges.

De prédateur à proie

La stratégie de Naouri a du plomb dans l'aile. Pour financer l'expansion, le groupe a de plus en plus recours à l'endettement qui culmine aujourd'hui à 6,4 milliards d'euros.

"La valeur de ce que possède le groupe ne couvre plus ce qu'il doit", résume Olivier Dauvers, le spécialiste de la grande distribution.

Le prédateur devient alors proie. Le groupe de Jean-Charles Naouri est régulièrement pris pour cible par des analystes dont les notes font plonger son cours de Bourse. Comme en 2015 avec le cabinet Muddy Waters. Ce qui le met à la merci des prédateurs et des spéculateurs.

Ce qui semble nourrir une certaine paranoïa chez le grand patron. De nombreux analystes révélaient en 2019 à Capital avoir reçu des coups de fil suspects de la part de soi-disant journalistes (Wall Street Journal ou BFM Business…) au sujet de Casino. Une tentative de les influencer pour soutenir un cours de Bourse en souffrance?

C'est d'ailleurs une affaire similaire qui a conduit le patron en garde à vue ce jeudi. Le gendarme boursier et le Parquet national financier (PNF) soupçonnent une collusion entre le patron de Casino et l'homme d'affaires et éditeur de presse Nicolas Miguet afin de défendre le cours de Bourse du distributeur entre 2018 et 2019. Affaire pour laquelle plusieurs perquisitions ont déjà été réalisées.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco