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Dépenses en cabinets de conseil: où se situe la France par rapport à ses voisins?

Si les dépenses de l'Etat en conseil ont fortement augmenté depuis 2017, la France recourt globalement moins à ces entreprises que ses principaux voisins.

C’est une polémique dont Emmanuel Macron se serait bien passé. A dix jours de l’élection présidentielle, le président-candidat et son gouvernement sont montrés du doigt pour avoir recouru de manière abusive aux cabinets de conseil durant le quinquennat. Dénonçant "l’influence croissante de ces cabinets sur les politiques publiques", un rapport de la commission d’enquête du Sénat paru récemment évalue à plus d’un milliard d’euros les dépenses de conseil de l’Etat en 2021, dont 893,9 millions d’euros pour les ministères et 171,9 millions pour un échantillon de 44 opérateurs.

"Il s’agit d’une estimation minimale car les dépenses des opérateurs sont en réalité plus élevées : si la commission d’enquête a interrogé ceux dont le budget était le plus important (Pôle emploi, Caisse des dépôts et consignations, etc.), l’échantillon ne représente que 10 % du total des opérateurs", précisent les sénateurs.

Accusé d’optimisation fiscale, McKinsey fait partie des cabinets privés sollicités à plusieurs reprises par l’Etat ces cinq dernières années, notamment pendant la crise sanitaire. Mais il est loin d’être le seul: Accenture, Bain, Boston Consulting Group, Capgemini, EY, PwC, ou encore Roland Berger ont également aiguillé la stratégie du gouvernement depuis 2017. Et les chiffres confirment un recours accru à ces entreprises au cours du mandat d'Emmanuel Macron: si les dépenses des ministères en conseil s’établissaient à 893,9 millions d’euros en 2021, elles n’étaient "que" de 379,1 millions en 2018, soit un bond de près de 136% en quatre ans et de près de 45% pour la seule année 2021.

Lors d’une conférence de presse mercredi, le gouvernement a dit "assumer pleinement le recours aux cabinets de conseil", expliquant que les deux tiers des sommes dépensées l’an passé portaient sur "des outils informatiques et cyber". Par ailleurs, l’accélération du recours aux cabinets de conseil ne date pas de 2017. Entre 2000 et 2018, le marché du conseil au secteur public a progressé de 188 millions en France, soit une augmentation de plus de 40%, selon les données de la Fédération européenne des associations en conseil en organisation (FEACO) citées par le Sénat.

La France recourt moins aux cabinets de conseil que ses voisins

Les membres de la Commission d’enquête à l’origine du rapport reconnaissent en revanche que "par rapport aux autres pays européens, le conseil au secteur public apparaît historiquement limité en France: le chiffre d'affaires réalisé par les cabinets de conseil s'élevait à 657 millions d'euros en 2018 contre, par exemple, 3,143 milliards d'euros en Allemagne et 2,640 milliards d'euros au Royaume-Uni".

Ainsi, sur 1000 euros de dépenses de fonctionnement en 2018, "les administrations publiques avaient engagé 1,56 euro de dépenses de conseil en France, contre 6,76 euros au Royaume-Uni et 7,20 euros en Allemagne", poursuivent les auteurs du rapport. En 2005, ce montant était de 1,46 euro en France, soit une hausse de 10 centimes en 13 ans qui reste inférieure à celle observée en Allemagne (+32 centimes).

Un autre rapport paru en janvier émanant cette fois de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale a tenté d’analyser l’évolution des dépenses de l’Etat en cabinets de conseil par rapport à ses principaux voisins. En 2019, le niveau de ces dépenses dans la sphère publique (Etat et autres administrations) est ainsi estimé à 814 millions d’euros par la FEACO, soit "un niveau de dépense très modéré", juge le rapport.

Dans le détail, sur les dix pays étudiés, la France se situe à la troisième place en valeur absolue des dépenses publiques de conseil, loin derrière le Royaume-Uni (2,9 milliards d’euros) et l’Allemagne (3,4 milliards) et juste devant le Danemark (687 millions). Mais si l’on rapporte ces sommes aux dépenses de personnel des différentes administrations publiques, l’Hexagone affiche l’un "des niveaux les plus faibles de l’Union européenne", à 0,27%.

"Différence de culture administrative"

Même avec les augmentations de dépenses de conseil en 2020 et 2021, la France ne fait donc que rattraper en partie ses voisins. En outre, le secteur public pesait en 2019 10% des dépenses de conseil en France. Un niveau proche de l’Autriche, de la Finlande, de l’Italie, de la Slovénie et de l’Allemagne mais inférieur à celui observé en Hongrie (13%), en Espagne (17,5%), au Danemark (22%) et au Royaume-Uni (22%).

"L’exemple britannique peut être rapproché de la situation aux États-Unis ou au Canada où le recours aux cabinets de conseil est systématique et constitue un mode d’administration ordinaire (budgets très conséquents, contrats de très long terme et permanence de l’action des cabinets au cœur même des ministères, etc.)", souligne le rapport de l’Assemblée nationale.

De son côté, la commission d’enquête du Sénat évoque "une différence de culture administrative" pour expliquer historiquement le moindre recours aux cabinets de conseil en France. Et de citer "le politiste canadien Denis Saint-Martin", lequel indiquait "au début des années 2000 que la France se montrait relativement imperméable à la colonisation des Etats par les grandes firmes du conseil, en raison de l’obstacle représenté par les grands corps de l’Etat". Une imperméabilité qui peut toutefois être remise en doute aujourd'hui.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco