BFM Business
Economie

Crise des agriculteurs: les droits de succession sont-ils trop élevés?

Alors que la France perd de plus en plus d'exploitants, certains syndicats pointent du doigt la fiscalité qui serait un frein aux transmissions familiales.

Pourquoi y a-t-il de moins en moins d’agriculteurs ? Au-delà des normes ou des conditions sociales, n’y a-t-il pas un problème de succession et de transmission du patrimoine ?

La question mérite en tout cas d’être posée. On va rappeler quelques chiffres: 20.000 exploitants cessent chaque année leur activité contre 14.000 seulement qui s’installent, rappelle la Cour des comptes. Et alors que 43% des exploitants ont plus de 55 ans, l'hémorragie d'agriculteurs risque de s'accélérer dans les années à venir.

Pourtant, dans le même temps, les exploitations agricoles et les terres se vendent elles très bien. On a dépassé depuis 2021 les 100.000 transactions de terres agricoles par an, soit 480.000 hectares, au plus haut depuis 2014.

Mais qui rachète ces exploitations? Ceux qui en ont le plus le moyen, c’est-à-dire de plus en plus souvent des sociétés. Il y a quelques années, l'intérêt de groupes chinois pour le terroir français avait affolé l'opinion. Mais le phénomène est resté marginal.

En revanche de grands groupes (principalement français ou européens) acquièrent chaque année de plus en plus de terres. On peut citer le géant italien du riz Euricom (800 millions d'euros de chiffres d'affaires) qui a acheté 1300 hectares de rizières en Camargue dans les Bouches-du-Rhône il y a quelques années. Ou encore Altho (qui commercialise les chips Bret’s) a repris 135 hectares de champs de pommes de terre, mais aussi Auchan qui détient 800 hectares pour fournir ses magasins ou encore Chanel qui rachète des champs de fleur sur la Côte d’Azur ou dans les Landes.

14% des terres aux mains de sociétés

Le mouvement Terres de lien estime aujourd’hui que 14% de la surface agricole utile est entre les mains de sociétés financiarisées.

Vendre plutôt que transmettre. De plus en plus d'exploitants préfèrent se débarrasser des terres plutôt que de passer le flambeau à leur descendance. La Coordination rurale, deuxième syndicat agricole français, réclame depuis plusieurs années a suppression des frais de succession pour la transmission des exploitations "dans le cadre familial". Les représentants ont porté cette revendication devant Gabriel Attal ce mardi.

Il est vrai qu’en matière de fiscalité sur les successions, la France a la main plus lourde que nombre de ses voisins. Comme le rappelle le site Fipeco, notre pays "se trouve au premier rang de l’OCDE avec la Belgique pour le poids de ces droits en pourcentage du PIB (0,7% en 2020). Ils ne représentent que 0,3% du PIB en Allemagne, 0,2% au Royaume-Uni, 0,1% aux Etats-Unis, moins de 0,1% en Italie et ils ont été supprimés en Suède et au Canada."

Ce dimanche sur BFMTV, Eric Zemmour réclamait ainsi la suppression des droits de succession qui conduirait la France vers une vente à la découpe avec le départ de ses entreprises et exploitations agricoles.

C'est peut-être aller un peu vite en besogne. Si les droits de succession sont élevés en France, les exonérations sont importantes lorsqu'il s'agit de transmission d'entreprises et d'exploitations agricoles. Depuis le pacte Dutreil de 2003, le redevable bénéficie d'une exonération à concurrence de 75 % de la valeur des terres et ce jusqu'à 300.000 euros. La condition étant que les héritiers restent propriétaires des biens ou titres de sociétés agricoles pendant cinq ans. Les exploitants échappent par ailleurs totalement à l'Impôt sur la fortune immobilière pour ce qui concerne les terres et les bâtiments au titre des biens professionnels.

Une fiscalité avantageuse

Une fiscalité plutôt avantageuse donc mais aussi une administration qui veille au grain. Les fameuses Safer (Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural) dont l'objectif est de maintenir une agriculture familiale préemptent les ventes agricoles et privilégient les transmissions familiales. Elles revoient si nécessaire les prix à la baisse pour faciliter l'installation de jeunes agriculteurs.

Leur pouvoir de régulation a même été renforcé en 2021 avec la loi Sempastous. Elles ont désormais leur mot à dire sur les cessions de part de sociétés agricoles, moyen utilisé auparavant pour contourner leur contrôle.

L'Etat encourage depuis des années le maintien d'une agriculture familiale et facilite les transmissions. Et s'il y a une crise de vocations, les causes sont plutôt à chercher du côté des difficultés pointées ces derniers jours par la profession.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco