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1 salarié sur 6 est au Smic: comment sortir du "plancher collant" des bas salaires

Sanctionner les branches qui ne jouent pas le jeu, conditionner les exonérations de charges... Les syndicats veulent mettre la pression sur le gouvernement pour durcir le ton avec les entreprises qui n'augmentent pas assez les salaires.

Tous les ans (et maintenant tous les 3 mois avec la poussée inflationniste), l'intérêt médiatique se porte sur la hausse du Smic. De combien va-t-il augmenter? Y'aura-t-il un coup de pouce cette fois ? Avec cette idée (fausse) selon laquelle les hausses du salaire minimum légal donneraient le la de l'évolution des rémunérations en France.

Or, c'est une lapalissade, mais la hausse du Smic ne détermine que l'évolution de salaire des personnes payées au Smic. Dans les périodes comme actuellement où ce salaire minimum augmente rapidement la principale conséquence mesurée est l'augmentation du nombre de personnes au Smic.

La proportion des salariés qui se contentent aujourd’hui du salaire minimum progresse à grande vitesse. Le 1er janvier 2021, ils ne représentaient plus que 12% des salariés. Un an plus tard, la Dares les estime à 14,5%, un niveau inédit depuis une grosse quinzaine d’années. Les données ne sont pas encore connues pour l'année en cours, mais avec les quatre hausses du salaire minimum qui ont eu lieu depuis le premier trimestre, la part des salariés au Smic pourrait se rapprocher voire dépasser du record de 2005. Cette année-là, un salarié sur six (16,5%) était au salaire minimum.

On le voit donc, augmenter le Smic ne crée pas d'effet d'entraînement automatique pour l'ensemble de l'échelle des salaires. Comme le relevait Terra Nova en 2022, c'est davantage les accords de branches professionnelles qui influencent les grilles de rémunération au sein de l'entreprise. Si les partenaires sociaux tardent à renégocier ces minimas de branche, certains peuvent rester en deçà du niveau du Smic. Ce qui ne veut pas dire que les salariés seront payés sous le salaire minimum (c'est illégal) mais ils pourraient y être bloqués, leurs entreprises n'étant pas tenues de les augmenter malgré leur progression de carrière. D'où le terme de "plancher collant" utilisé pour décrire ces trappes à bas salaire.

Lors de la revalorisation du Smic en mai dernier, 145 branches sur les 171 qui comptent plus de 5000 salariés avaient au moins un niveau conventionnel inférieur au Smic. Certaines en avaient même 11 comme la branche des industries du caoutchouc dans la chimie. Aujourd'hui, elles sont encore 76, selon la CFDT, à avoir des minimas sous le Smic. Deux n'ont même pas mis à jour leurs grilles depuis plus de deux ans.

L'échelle des salaires écrasée par le bas

Ces pesanteurs dans la négociation sociale participent à écraser l'échelle des salaires. Selon l'Insee, la moitié des salariés français gagnaient moins de 2012 euros net par mois à fin 2021. Le salaire net médian est donc inférieur de 20% au salaire moyen (2500 euros par mois), ce qui traduit une plus forte concentration des salaires dans le bas de la distribution. D'ailleurs 80% des salariés n'émargent pas à plus de 3200 euros par mois.

À titre de comparaison, aux Etats-Unis le salaire médian des actifs à plein temps s'établit selon le Bureau of Labor Statistics à 1100 dollars par semaine, soit 4400 dollars par mois (4180 euros).

Pour accélérer la négociation au sein des branches, les syndicats comme la CFDT réclament des sanctions plus importantes pour les récalcitrants. Aujourd'hui la loi "pouvoir d'achat" de l'été 2022 permet au gouvernement de fusionner une branche qui ne respecterait pas le délai de négociation avec une autre branche plus vertueuse. A date, cette arme n'a jamais été utilisée. Certaines ont reçu des avertissements comme celle des casinos en septembre dernier mais ce n'est pas allé plus loin. La fusion est une sanction lourde et trop complexe à mettre en oeuvre.

Les syndicats réclament des sanctions plus dissuasives comme la suspension des exonérations sur les bas salaires pour les entreprises des branches qui tardent à négocier. C'est ce qu'a réclamé en septembre dans un courrier au président de la République la nouvelle secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon.

Ces allègements dégressifs mis en place en 1993 pour lutter contre le chômage de masse en levant les freins financiers de l'emploi peu qualifié peuvent générer des effets de seuil. Ils ont depuis été largement étendus. Les employeurs seraient tentés de ne pas augmenter leurs salariés au-delà du seuil d'exonération de charge.

Depuis 2019, le système permet d’une part une réduction de 6 points des cotisations des employeurs à l’assurance maladie pour les salaires inférieurs à 2,5 Smic. Un allègement de 4 points supplémentaires sur les cotisations retraites et chômage jusqu'à 1,6 Smic. Et enfin une exonération des cotisations patronales à la branche famille jusqu’à 3,5 Smic.

Sur le conditionnement de ces exonérations, le ministre du Travail se montre sceptique. D'abord sur le plan du droit en rappelant qu'il pourrait s'agir d'une rupture du principe d'égalité en termes de charges publiques et d’impôt, relevé par le Conseil constitutionnel en 2009. Mais aussi sur celui de la faisabilité en s'interrogeant sur la possibilité de sanctionner toute une branche alors même que certaines entreprises au sein de cette même branche pourraient avoir des pratiques salariales conformes.

Ces sujets du partage de la valeur seront au coeur de la conférence sociale qui s'ouvre ce lundi. Celui de la création de valeur en revanche sera porté par le patronat qui rappelle que la productivité a baissé en France et que la part des salaires dans la valeur ajoutée totale a augmenté de 0,3% entre 2019 et 2023. La voix du "travailler plus pour partager plus".

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco